Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/317

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la ligne. Les soldats chargèrent avec bénévolence, la police projeta des poings rudes sur les conscrits d’avant-garde qui haletaient entre deux poussées, haineux et hagards. Quelques ivrognes résistèrent vaguement, aussitôt passés à tabac, la face transformée en enclume, pendant qu’un adolescent livide lançait une poignée de poivre dans les yeux d’un brigadier et, se jetant à quatre pattes, fuyait entre les jambes. Des coups de bottes le pétrirent, son crâne craqua sous des semelles diligentes, et ses cris glacèrent l’élan des miliciens jusqu’au fond de la salle. Mais les cœurs demeuraient tumultueux ; une rancune sournoise luisait dans les regards, avivée par les hurlements de l’homme au poivre.

— Tout ça sera payé un jour, affirmait Armand Bossange à ceux des Terrains Vagues.

— Ça sera payé le jour de la guerre, intervint un petit homme crépu, dont les yeux noirs se violaçaient d’exaltation… Des pruneaux dans le ventre des officiers, des saucisses de dynamite dans leur fondement. Vive Hervé !

Ces propos choquaient Casselles et lui semblaient ridicules, car enfin la police seule avait frappé : l’infanterie de marine et la ligne bornaient leurs soins à maintenir le barrage.

Un nouveau remous agita la masse, puis un courant s’établit avec une légère bousculade, des exclamations fusèrent :

— C’est le train ! Voilà le train !

— N’oubliez pas ! fit rapidement Armand Bossange en serrant la main à ses camarades. Pratiquez l’obéissance apparente et la résistance secrète, le sabotage aussi, chaque fois que vous le pourrez sans risques ; formez des ligues contre les gradés ; surtout livrez-vous à une propagande incessante.

Casselles écoutait avec un visage roide où se dissimulait le sarcasme. Il ne croyait plus à la parole : elle était fausse, couarde et vénéneuse. Et il