Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/346

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Elle rit avec moquerie, joie et triomphe :

— Je vas semer Georgette.

Georgette, tenant un bouquet dont les pissenlits, les millepertuis, les renoncules faisaient une symphonie jaune, s’alanguissait aussi à la traîtrise du jour ; ses yeux longs et fins clignotèrent lorsqu’elle reparut devant Eulalie. En voyant la grande bringue trépidante, sa bouche qui semblait tirer sur le mors, la petite eut un sifflement de malice, où passait une faible amertume. Sa sensualité s’émouvait à celle des autres, elle cherchait confusément, vers les nuages, une promesse. Et la solitude s’abattit sur elle ; Eulalie était absente, bien loin, au pays de folie, et François aussi qui, un quart d’heure auparavant, eût peut-être préféré Georgette : l’événement avait passé…

Georgette fourra son visage dans le bouquet or, soufre et gomme-gutte ; elle respira fort, sa gaieté remonta avec son insouciance et sa mollesse bienveillante. Sachant qu’on userait d’artifice pour l’écarter, elle préféra tirer sa révérence :

— Je n’ai pas trouvé de trèfle à quatre feuilles, s’écria-t-elle, et j’en veux, c’est ma chance. Alors, vous n’allez pas m’attendre : ça serait trop long !…

— On se reverra tantôt ! fit Eulalie, hâtivement.

— Ou demain ! Tâche de pas te faire des bosses, ma vieille.

Elle se sauvait, une fine cendre de mélancolie tomba sur le cœur de François. Mais Eulalie lui disait à l’oreille :

— Dites ? Nous allons là-bas ?

Elle montrait l’horizon, les nuages, les terres invisibles. Sa bouche cramoisie but la réponse. Tout tournoyait en Rougemont : l’absinthe d’amour changeait la couleur et les contours, et rien ne parut nécessaire, sinon de s’abandonner à l’obscure tyrannie de cette adolescente. Avec un léger soupir, il laissa choir la discipline :