Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/348

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gronder son cœur ; elle était pleine de chaos. Et caressant de sa chevelure les yeux de l’homme, elle le grisait de baisers rouges. Il s’affolait bien autant qu’elle, soumis par ces instincts qui organisent le mystère :

— Tu me disais, chuchotait-elle… Et je ne le savais pas moi-même. Je le vois bien maintenant. C’est tes yeux… tes yeux de gosse… et puis peut-être bien ta voix… Mais tu sais, pas tes idées… les idées, c’est froid, c’est triste, c’est raide, c’est embêtant… ah ! pour sûr que je ne les aime pas ! Je fiche le camp, dès que je t’entends prêcher.

Il tenait la grande fille à la taille ; pliante comme un jonc, elle avait chair ferme et muscles rapides.

— Tu vois dit-elle, en montrant une guinguette toute dévorée de vigne sauvage, c’est là qu’on va dîner. Un bon endroit, à cause du balcon couvert ; on sera chez soi !

Elle entraînait Rougemont. Des tonnelles se rangeaient, entre un jardin potager et un champ de roses. Quelques artisans, blouses de plâtre ou culottes terreuses, se disséminaient autour des vertes et des bitters, un âne, portant sa croix noire sur le dos, les jambes plus grêles d’avoir une tête épaisse, savourait des carottes, tandis qu’un chien bordeaux bavait devant une flamme où l’on voyait tournoyer un gigot couleur de hareng saur.

L’auberge, rafistolée de bois, de brique, de pierre crayeuse et de pierre meulière, couverte ensemble de tuiles et de bardeaux, avait une terrasse couverte, où pendillaient une vigne et des glycines. On apercevait la salle à manger et la cuisine toute rousse d’un feu de hêtre.

Le garçon vint, un mouchoir et de l’ouate autour des mâchoires, vêtu de faux mohair, la serviette vineuse aux reins et traînant de vasques croquenots, où l’on avait percé des jours, pour la tranquillité des durillons. L’œil flasque et farceur, le nez qui