Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/35

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des harangues impérieuses et tranchantes de Guesde. Il connut aussi l’influence d’Allemane et fut touché par la parole véhémente et douce de la vieille Louise Michel.

Pourtant, à la longue, il se fit un grand vide. Venait-il de lui-même, venait-il du dehors, de son temps las des programmes blafards et des ménétriers politiques, ou de cette usure des vieilles légendes qui se lézardent ainsi que des murailles ? Le froment des phrases ne le nourrissait plus ; la doctrine flottait dans les nuées, les grandes promesses éveillaient moins de foi que d’inquiétude.

Alors, il parla à son tour du haut des tribunes et connut sa force. Mais il lui semblait tourner dans une enceinte, un horizon de diorama. Dès qu’on essayait de passer au large, on se heurtait à des obstacles ridicules et hétéroclites, les portants d’un décor, la toile, les cordages, les cartons des coulisses. L’histoire du socialisme, depuis cinquante ans, figurait une légende dérisoire, un rêve exaspérant de pauvres diables, sans autre aboutissement que les barricades. Chaque génération revomissait le même troupeau fiévreux et chimérique — avec des chefs béants, bouffis de phrases.

Après mille autres, Rougemont voulut la révolution quotidienne. Elle devait fermenter dans les cervelles, non comme un rêve, mais comme une énergie, se manifester par une discipline et une méthode, des exercices quotidiens d’assouplissement. Il ne s’agissait plus de brandir la torche. Il fallait apprendre et vouloir, instituer l’expérience sociale, faire la petite guerre, escarmouches, razzias, embuscades, entretenir des haines froides, logiques et continues, marchander le salaire comme le paysan normand marchande des cochons, et surtout créer une sorte d’excitation heureuse, une exaltation fraternelle qui associeraient aux réunions des idées de sécurité, de confiance, d’aide mutuelle.