Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/365

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fut bon d’avoir là cette créature fraîche et, baisant sa cheville, mordant doucement les jambes, il s’abandonna à l’ivresse sacrée.


Il vint des journées douces. Les instincts innombrables grouillaient dans la grande fille, pareils à des souvenirs et à des genèses. Elle se dressait parfois dans l’ombre, elle allait à la croisée. Levant le visage vers les étoiles, elle se les figurait planant sur la palpitation des eaux. À peine le premier déjeuner fini, elle s’élançait sur ses pieds fiévreux. Elle tremblait de joie lorsque apparaissait la brousse soufrée des ajoncs, lorsqu’elle voyait la mer brasser ses écumes et soulever ses collines fugitives. Tout était neuf. L’océan refaisait sa plage ; il entretenait la sauvagerie des granits, il jetait pêle-mêle des bêtes et des plantes, il jardinait furieusement les végétations qui creusent et habillent la pierre, il semblait vouloir le désordre et le chaos, pour que le monde ne pérît pas par la cohérence.

Eulalie s’enfonçait dans les couloirs où la pierre répète les pas et fait d’un murmure un mugissement, elle montait sur les arêtes taillées en scies, au haut de pyramides mousses et de cônes lézardés, elle s’enlizait parmi des paquets de lianes marines et de goëmon, puis, revenue sur les galets ou sous le surplomb humide d’une falaise, elle cherchait les creux où nichent des oiseaux rauques. Agile et vigilante, elle se dérobait aux sables mouvants, elle filait comme une échassière.

Elle connut les bêtes. Les pâles mouettes ont l’âme des foules ; elles s’assemblent avec des clameurs discordes, qui simulent la risée, la détresse ou la brusque colère ; elles flottent en grappe sur l’écueil, dansent avec l’écume, s’élèvent en tourbillons de joie ou s’éparpillent en caprices ; les hirondelles de mer jaillissent mystérieusement des fentes de la falaise ; le grand goéland flotte comme un cerf-