Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/367

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coliques qui sont tout ce que le civilisé garde d’un incalculable atavisme. Il soupirait de ce que la nature fût rétrécie, comme un adolescent grêle pleure les forêts vierges, mais l’humanité restait sa passion véritable. Après des heures sur la plage ou sur l’arête des falaises, le désir naissait de parler, de discuter, de convaincre. Chaque jour, il y cédait davantage. Avec les gens de la ferme, avec les bergers, les laboureurs, les maquignons, les ramasseurs de varech, le taillandier-maréchal ferrant, le menuisier-charpentier, fabricant de cercueils, les cabaretiers, les pêcheurs, les gabelous mêmes, il s’attardait à prêcher son évangile. Dans ce terroir où l’idée sociale était vague, il annonçait préférablement la fin du régime militaire. Ce sujet s’adapte à la cervelle paysanne. De tout temps, le terrien a détesté la loi anonyme, venue du fond des villes, qui l’arrache de son sol, le jette à des autorités violentes et incompréhensibles.

Le contact direct de la terre et des météores, le sentiment que toute chose essentielle vient de la culture, disposent mal à comprendre une règle venue d’hommes qui ne défrichent, ne labourent ni ne sèment et n’élèvent point de bêtes. Il semble déjà anormal qu’ils mangent, ceux qui ne produisent aucune nourriture, combien plus qu’ils commandent ! S’ils étaient du moins la force, s’ils arrivaient en hordes, razziant le blé, le beurre, le bétail, l’homme du champ et du pâturage les exécrerait, mais il admettrait ce fléau comme il admet les férocités de la nature. Ils ne sont pas même la force. Et il faut leur payer l’impôt ; il faut leur livrer ses jeunes hommes !

Habile à étayer sa propagande sur les sentiments des êtres, François semait l’antimilitarisme avec une éloquence où se retrouvaient les plaintes de l’interlocuteur. Les paysans reconnaissaient leur mécontentement, exprimé en phrases incandescentes, en