Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/383

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Une telle conception paraissait pusillanime à de notables théoriciens. Pourquoi ne pas accorder une part plus large à l’imprévu ? Sans doute, les cadres syndicaux ne s’ajusteraient pas providentiellement aux circonstances, mais ils possédaient des éléments d’adaptation préférables aux règles trop rigides et trop prévoyantes. Cette affirmation ramenait le vague ; elle accéléra, cette année, une poussée de mysticisme. Les gens de la C. G. T. n’annonçaient qu’une campagne pour la journée de huit heures, mais leur langage était sybillin ; tout autour d’eux s’agitait un propagandisme nébuleux. Le trésor bourgeois redevint infini ; il recéla tous les possibles du bonheur ; dès qu’il aurait passé dans les mains du peuple, la misère s’évanouirait comme la lèpre ou la petite vérole. Ce fut la foi de 1848, entée sur une faible discipline syndicaliste : cette justice qu’ils se proposaient naguère de conquérir par étapes, les hommes-enfants l’exigèrent avec l’intensité des « envies de femme », et tout de suite le partage, le bien-être, le repos… le bonheur !

Alors, il sembla que la C. G. T., munie de forces mystérieuses, fût à l’œuvre depuis des temps immenses et qu’elle eût découvert enfin la loi définitive, la formule de transmutation sociale. La mollesse du gouvernement, le relâchement de la discipline, les événements de Brest et de l’Yonne, décelaient l’anémie bourgeoise : beaucoup de journaux modérés l’avouaient eux-mêmes. Le verbiage régna. Il enivra le peuple, qui n’écoutait qu’à contre-cœur le rude et précis catéchisme corporatif. À la fin de mars, une littérature emphatique envahit les journaux et se répandit en brochures ; il y eut une poussée de propagande qui semblait organisée et qui n’était faite que de fermentations anonymes. La multitude y voyait l’action de la C. G. T. ; la C. G. T., pauvre en ressources, comptait sur les retentissements de l’apostolat, sur l’autonomie