Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/404

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tilleul. Comme aucun n’en avait reçu, ils conjecturaient une milice mystérieuse, une franc-maçonnerie du chambardement qui jaillirait de l’inconnu et que les masses n’auraient qu’à suivre. Isidore usait sa salive à l’affirmer :

— C’est réglé comme ma montre ! s’exclamait-il en tirant une toquante ancestrale et en faisant constater qu’elle marquait la même heure que le cadran de l’usine Caillebotte. Soyons seulement tous, à partir de quatre heures, aux environs de la Bourse du Travail ! La Grange aux Belles aura turbiné, je ne vous dis que ça !

Une voix tonna et parut escalader les fortifications, les tours de Sainte-Anne, la Butte-aux-Cailles : c’était la Trompette de Jéricho.

Nègre de l’usine,
Forçat de la mine,
Ilote du champ,
Lève-toi, peuple puissant :
Ouvrier, prends la machine !
Prends la terre, paysan !

En passant par ce formidable organe, dans la clarté du matin, le chant parut immense, écrasant, irrésistible. Tous beuglèrent, électrisés :

Ouvrier, prends la machine !
Prends la terre, paysan !

Il y eut une pause, où ils se regardaient, les poils frémissants : leur foi écumait comme un vin de vendange. Et Gourjat certifiait :

— La braise est au four… ça va chauffer !

Il allait poursuivre, lorsqu’on vit s’arrondir son œil et vaciller ses joues : sa femme venait d’apparaître. Elle avançait son nez pointu ; un sarcasme amer retroussait ses babines :

— Qu’est-ce que tu fais ici, voyou ! fit-elle, avec