Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/455

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— Tu nous trahis, tu marches avec les renards, avec les sarrazins, avec les ministres ! Et tu abuses de ta force. Oui, c’est comme si tu tapais sur un vieux ou sur un infirme. Est-ce que tu crois qu’il y en a un seul ici qui pourrait faire seulement la moitié de ta sale ouvrage ? Quand on a une poigne comme la tienne, on a pitié des camarades, on se fait pardonner à force de solidarité et la solidarité ousque nous en sommes, c’est de n’en pas f… une datte. Écoute, Bardoufle, t’es mon ami ; on t’aime bien, mais si tu continues comme ça, on sera forcé de te fiche à l’index comme un sale exploiteur. Je ne te l’envoie pas dire !…

Bardoufle levait son torse énorme et sa tête de granit. Une lente colère luisait au fond de ses prunelles. Et voyant la réprobation sur les faces, il poussait un soupir d’ours :

— J’fais ce que je peux ! Je me massacre à ne rien faire !

— Alors, t’as qu’à défaire ! Une supposition que tu creuses… Bon ! Tu tires dix pelles et tu en ref… sept dans la tranchée.

Une telle idée ne pouvait se faire jour dans la tête de Bardoufle ; autant emporter des moellons, des briques ou des planches pour les revendre ! Il essayait pourtant. Sa tête résonnait comme un tambour, la honte suait à chaque racine de ses cheveux. Lorsqu’il voyait paraître la face d’un patron, il avait la « trouille ». Il y renonça ; il préféra consacrer une grosse part de son salaire à offrir des tournées propitiatoires chez le mastroquet, au grand dam de sa maîtresse, la dame au profil de Napoléon.

Cependant les entrepreneurs annonçaient la fin du monde. Impuissants et furibonds, ils en appelaient aux journaux, au gouvernement, à la justice immanente. Quelque chose était devant eux qui déconcertait leur expérience et accablait leur lo-