Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/468

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gure, et les affirmations de Barrault le frappaient à l’improviste :

— Êtes-vous sûr ? insista-t-il.

— Je vous le promets ! fit le sombre Semail. Hanotteau et Barjac ont lâché les écluses en faisant la nique à la jaunisse.

— Et y z’entraînent quarante camarades, jubila Lamotte. Avec eux autres, ça fait la rue Michel. Ce qui a définitivement décroché l’affaire, c’est qu’on a un tuyau sur les commandes. Ils vont avoir de l’ouvrage jusqu’à plus soif. Ils n’auront pas le temps de se retourner ; en une semaine, on les fera toucher des épaules.

— Bu, affirma Hareng, que non seulement ils ont besoin de tout leur personnel, mais qu’il leur paudra embaucher plusieurs équipes si y beulent paire pace à leurs appaires ! Que la C. G. T. nous soutienne et nous bouppons la boutique !

Rougemont remonta pensif dans l’interminable crépuscule. Un four se creusait au couchant et dévorait la Tombe-Issoire ; trois pieuvres de cuivre rouge allongeaient leurs tentacules sur la Butte-aux-Cailles, une haleine infiniment tendre se roulait parmi les usines et les masures. Le triomphe et l’inquiétude serraient François à la gorge. Il entrevit des scènes de fièvre et de démence ; il calcula les paroles et les actes qui apaiseraient les instincts primitifs.

Recru de fatigue et de chaleur, il monta chez les Garrigues. Devant la soupe chaude et le pain clair, il eut sa lueur de béatitude. Le geai ricanait entre la salière et la carafe ; Charles collait des coupures dans un grand cahier de papier brun, et le petit Antoine rempaillait des chaises illusoires. C’était l’oasis, le coin du monde où les songes croissent tièdes, drus et consolants. Le meneur y a vu passer l’hôte joyeux qui se pose au hasard, n’attend pas l’heure des hommes et se dérobe aux circonstances.