Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/470

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les mois, les saisons allaient passer. Il ne connaîtrait plus ces minutes où la destinée devient innombrable…

Comme il plongeait au rêve, le timbre de l’entrée jeta son appel. Et tandis que le geai bredouillait : « Qui est là ? » la porte s’était ouverte. François entendit un froissement de jupes ; la grande chevelure brilla, qu’il voyait déferler au fond des souvenirs. Une émotion formidable ploya l’échine du malheureux.


Christine s’était assise, avec le petit Antoine contre ses épaules, comme par les soirs fabuleux de jadis ; elle répondait vaguement à quelque question d’Antoinette. Ses yeux luisaient ; une agitation crispait ses doigts, et elle finit par dire, tournée vers le meneur

— Est-ce vrai qu’il va y avoir une grève chez M. Delaborde ?

— C’est vrai.

Il sentit une menace étrange et insupportable. Posant la main sur les cheveux du petit Antoine et secouant la tête d’un air chagrin, Christine demanda :

— Pourquoi ? Cette grève ne serait pas seulement injuste, ce qui n’est rien, elle serait absurde. Nulle part les ouvriers ne sont aussi bien traités que chez M. Delaborde et nulle part on ne les traitera aussi bien. Leur grève doit échouer.

Il écoutait, engourdi d’amour. Toute combativité était morte. Chacune de ses fibres voulait vivre la présence de Christine. Il murmura d’une voix lointaine :

— Il est facile pourtant de les satisfaire ! Ils céderaient sur la promesse de ne plus embaucher aucun Jaune et sur une réduction de travail d’une demi-heure.

— Ce serait une lâcheté et une trahison ! M. De-