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III


Depuis son incorporation, Armand Bossange faisait une propagande éperdue. Il était venu à la caserne avec la certitude qu’il allait endurer des souffrances hideuses et dégradantes. Il avait fallu en rabattre. Le caporal, personnage incolore et jovial, cherchait à éviter les affaires ; le sergent ne se signalait que par une propension excessive à se faire abreuver ; l’adjudant professait, en sourdine, des opinions pacifistes ; le lieutenant se révélait indulgent, blagueur et plein de scepticisme. Seul le capitaine avait des sévérités subites, des foucades « d’honneur et patrie », des manies intermittentes de réforme : son enthousiasme ou sa colère se répandaient communément en paroles. Le colonel était un vieux monsieur sec, plein d’amertume, qui avait fait campagne en Indo-Chine et qui, sachant qu’on allait lui fendre l’oreille, estimait l’armée française « foutue ». Il accomplissait ses devoirs d’une façon méprisante, qui ne gênait personne. C’est à peine si Armand subit de vagues consignes et endossa quelques épithètes dénuées de politesse. Comme il cédait volontiers son tabac, le sergent lui parla comme à une personne naturelle. L’adjudant, sans se compromettre, lui faisait entendre que le grade seul l’empêchait de fraterniser. Quant au capitaine, il le mêlait en bloc à ses accès de discipline et à ses crises de patriotisme.

Ainsi le martyre atteignait le niveau qu’il atteint