Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mêmes. Y se colleraient pas onze heures d’échafaudage !

— Comment ? Vous travaillez onze heures ? s’exclama Rougemont. C’est dégoûtant ! Et le syndicat ?

Les trois hommes se regardèrent, puis le maçon aux godillots se donna une tape sur la cuisse :

— Y aura du potin ! Attends seulement. On verra du nouveau dans le bâtiment. On est prêt. Si y faut se crêper, moi, je me crêpe.

— J’ai des marteaux ! ajouta l’homme aux gros poings. Je te vous ferais rentrer le singe dans sa peau comme dans un accordéon !

— Pas la peine ! dit gaiement François. La casse, il faut la remettre à plus tard. L’ouvrier ne doit plus taper au petit bonheur. Le jour où on tapera, ce sera pour le grand règlement et le grand règlement viendra quand les conscrits lèveront la crosse. Ça ne sera pas long… tout de même pas avant quelques années. Pour l’heure, le drapeau de l’ouvrier est la C. G. T. et le mot d’ordre, c’est les huit heures ! Ceux qui voudront les huit heures de toutes leurs forces feront la bonne besogne.

Quoiqu’il parlât d’une voix presque basse, il y avait, dans chacune de ses inflexions, dans ses gestes, et dans son regard, cette sincérité ardente qui lui conciliait les hommes. L’âme fruste des maçons se gonfla. Ils reconnurent la « bonne parole ». Tous trois, la bouche ouverte et les prunelles pleines de vie, répondirent :

— Vivent les huit heures !

— Qu’est-ce que tu prends ? demanda le maçon aux culottes flottantes. Le bistro d’en face a un petit vin gris qu’est joliment farce.

— Ça serait avec plaisir, répondit Rougemont. Mais il faut que je sois à un rendez-vous avant cinq minutes.

Et pour montrer que son refus ne tirait sa source d’aucune morgue, il tendit une main cordiale :