Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/518

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— J’étais guéri ! soupire-t-il, ou j’allais l’être… Elle est venue me reprendre…

Une barrière est là, la grande barrière d’Orléans… Rougemont songe à l’autre grève, celle des forges d’Arcueil. Le meneur reparaît. Il regarde les lourds tramways de Montrouge, les trains d’Arpajon et de Bourg-la-Reine, surtout les cheminées qui fument terriblement sur la banlieue. L’activité des hommes est là, noire et puante, la fatigue, la misère ; le site réel va rejoindre tant de sites où le cœur de François a battu. La chimère du bonheur se lève, et le hasardeux devoir ; l’image de Christine n’est plus triomphante :

— Il faut que cette grève-ci réussisse ! fait ardemment le propagandiste, en franchissant la barrière. Je la surveillerai jusqu’au bout.

Le soleil commençait à jaunir au fond des banlieues, mais la chaussée demeurait chaude comme un four de boulanger, la poussière et la fumée se tassaient dans les poumons des bêtes et des hommes. Dans le train, Rougemont ne sentait pas la sueur rouler dans sa nuque ; l’action le tenait comme un rêve… Les forges d’Arcueil parurent, les trois tours de Moloch ; une seule fumait, qui badigeonnait de roux le ciel sale. Sur la route et dans un champ d’escarbilles, on voyait piétiner les grévistes. Il y en avait un essaim, près d’un hangar, puis des traînées, des pelotons, des monômes, avec des escouades de curieux, des hordes de gamins et de femmes. Maints sergents de ville défendaient l’accès des forges.

On vit un homme monter sur un tas de coke. D’un élan les tentacules de la grève se resserrèrent ; il n’y eut plus qu’une seule masse, autour de laquelle rôdaient les badauds. L’orateur, qui était Barraut dit Hareng, l’homme aux bras de phoque et aux épaules en bosse, déchargeait ses paroles avec un bruit de cailloux :