Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/525

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— Six… sept… huit… neuf… dix ! Vous ne relâchez pas ? Non ? C’est pesé !

Et il s’élança à corps perdu :

— À moi, si vous n’êtes pas des lâches !

Jambloux et huit hommes se dressaient devant les syndicalistes. On entendit claquer une gifle, les triques se hérissèrent. La bagarre ronflait, lorsque survint la masse des sergents de ville. Ils chargèrent d’un seul élan. Les Jaunes s’écartaient ; les rouges s’éparpillèrent ; six poignes secouaient frénétiquement Jacques Lamotte.

Labranche ne cédait pas. Il hélait les grévistes d’une voix rauque, il dansait d’une façon bizarre et macabre :

— Y ne l’auront pas ! J’y laisserai ma peau… Allons, les frères, y a encore du poil aux dents, on va pas se laisser embêter par ces foutriquets de flics. Ah ! te v’là vieux Catiche… Amène-toi, tu en renverserais dix à toi tout seul !

L’Homme Pilon survenait avec l’avant-garde des grévistes, essoufflés et furieux. Une atmosphère de désordre, de crainte et de révolte gauchissait les mouvements. L’âme de la foule, encore éparpillée, se concentrait aux cris de Labranche et de Jacques Lamotte.

— Catiche ! Catiche ! aboyait presque le Merlan Truffé, si c’est pas aujourd’hui que tu te montres, tu ne te montreras jamais !

L’Homme Pilon devint un peu pâle, puis, enflant son souffle, cambrant ses reins, il tâta, par un geste familier, ses pectoraux :

— J’y vas ! fit-il.

Il y allait. D’un bras, avec une vigueur lente et presque douce, il écartait deux sergents de ville. De l’autre bras, il étreignait Jacques Lamotte. Et soudain, l’unité exista : les grévistes firent bloc, délivrèrent leurs compagnons et se retirèrent en ordre compact. À travers champs, avec les clameurs