Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/54

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Thèbes, quelque hamadryade s’évadant, au clair des étoiles, de la fente d’un saule, d’un tremble ou d’un sycomore.

Le meneur considérait les reliures avec sévérité. Il dédaignait les images, attaché à l’élégance du travail, à la continuité, au grain et à la finesse des peaux, à l’harmonie qui doit régner entre la robe et ces dessous délicats qu’on nomme les gardes. Rarement tant de qualités se trouvaient unies. Des tares légères se décelaient dans le maroquin, la polissure était inégale, quelque gaufrure floue, un filet d’or mal étendu… mais il se rencontra cinq ou six reliures où l’œil et la main de François savouraient des teintes admirables, des peaux plus douces que le satin et d’une texture parfaite : « Il s’y entend ! conclut le propagandiste. L’animal a du métier et du tact ! »

Comme il examinait une Colomba, vêtue de lazulite, avec une garde orange, un garçon de bureau vint pour le conduire. D’une galerie haute, il entrevit les ateliers de typographie et de brochure. On entendait le ronron des engrenages, le claquement des petites presses plates, les ronflements de la grande rotative, les ahans sourds de la machine hydraulique, le choc de guillotine du massicot.

Dans un vertige de roues, d’outils, de bielles, de courroies, les typos, les mécaniciens, les margeuses, les brocheurs et les brocheuses, les hommes de peine s’auréolaient d’une lueur blanche. À peine s’il flottait une poudre impalpable soulevée par le frottement des machines.

Ce ne fut qu’une vision. Déjà François se trouvait devant Delaborde.

Une chevelure de la couleur des jaunes d’œufs moussait sur le crâne de cet éditeur. Dans un visage aux veines tendues, aux joues de jambon, le nez surgissait plein de tannes et de trous de tannes, vaste, joyeux, gaillard et sensuel. Les paupières