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marthe baraquin

Elle écoutait, calme et chagrine. Rien ne l’étonnait plus. C’était la suite de son existence. Elle avait été bête, voilà tout. À peine si elle concevait une faible rancune contre le jeune homme :

— On ne fera pas de giries, dit-elle à mi-voix. Et ça sera bonsoir pour la dernière fois.

Elle tournait vers lui sa tête lumineuse ; brusquement, il eut le sentiment qu’elle était de beaucoup la plus charmante des filles qu’il avait possédées. Puis, selon la règle banale et sûre, elle parut plus désirable.

— C’est toi qui le dis ! riposta-t-il. Parle pas à la légère. Tantôt il sera trop tard.

— Ça ne sera pas tantôt, mais tout de suite… Bonsoir !

Elle se retirait. Il hésita. Il fut sur le point de la poursuivre. Mais il avait son code et son manuel de l’amour ; il croyait fermement que l’homme doit céder sur tout, avant, et sur rien, après. S’il la poursuivait, c’était fini d’être le maître ; sinon, elle reviendrait d’elle-même.

— Tu l’auras voulu ! cria-t-il.


Elle ne revint pas. Et malgré son code, après une semaine, c’est lui qui l’aborda.

— On a fait la bête ! remarqua-t-il.

Il avait repris son ton tendre, Sa cravate était neuve, sa jaquette bien brossée. Elle eut un petit battement de surprise plutôt que d’émoi.

— Je n’ai pas fait la bête du tout ! fit-elle.

— Alors, c’est moi qui l’ai été ! riposta-t-il, presque humble, mais très vexé.

Elle leva les bras d’un air vague. Il se mit à marcher auprès d’elle.

— Tu m’en veux ?

— Je ne vous en veux pas !… Ça m’est égal.

Après une minute de victoire, ce retour ne lui faisait aucun plaisir. Le jour était passé où il pouvait effacer l’impression de Clamart ; le dégoût s’était consolidé, il salissait toute l’aventure : elle se méfiait d’Émile, avec force et simplicité.

— C’est pas possible, dit-il, câlin. On a eu de bons moments. Tu ne peux pas dire le contraire. Alors, quoi, c’est pas pour une petite fâcherie… D’ailleurs, les amoureux, ça se chamaille, c’est connu. Après, on se rabiboche. Pour sûr que je t’aime bien.

Elle secoua la tête.

— Tu ne me crois pas ?

— Non.

— Tu as tort. Je dis la vérité !

— Savoir quand tu la dis ! Est-ce à Clamart, est-ce l’autre jour, ou bien maintenant. T’as trop de manières de la dire.

— Qu’est-ce que tn veux ? Je ferai tout ce que tu voudras.

Elle se mit à rire, méchamment :

— Tout ! T’es sûr ?

— Pardi.

— Ben, v’là… Tu vas faire venir tes papiers, et quand tu les auras tous, tu me feras signe : on ira faire publier ses bans à la mairerie.

Il demeurait stupide, les bras brinqueballants, puis une petite fureur passa dans ses yeux indigo :

— Et l’amour, qu’est-ce que tu en fais ?

— Je sais pas. L’amour, tu l’as arrangé comme tu l’as voulu, et c’est pas mon idée. Je ne te crois plus. Y a que le maire et le curé pour me prouver que tu m’aimes.

— Mais si tu m’aimais, toi, tu ne parlerais pas comme ça ?

— Je n’en sais rien. Je t’aimais joliment quand on est parti pour Clamart. T’avais eu de si gentilles manières. Seulement, ça n’a pas été long. Tu peux dire que tu m’as dégoûtée. Enfin, c’est pas tout ça : je t’ai pas rappelé… t’es revenu. Tu dis que tu feras tout ce que je voudrai. Ben ! je te le dis. Et tu fais des réponses qui ne sont pas des réponses.

— Je te vois venir ! cria-t-il, indigné., Tu veux mettre le grappin sur moi. Et moi, bonne bête, qui croyais que tu m’aimais.

— T’avais pas tort de le croire. Tu m’avais empaumée. J’aurais mis ma main au feu que t’étais honnête.

— Et en quoi que je n’ai pas été honnête ?

Elle réfléchit. C’était difficile à dire. Les raisons étaient dans son instinct et dans ses impressions ; elle dut faire un grand effort pour exprimer à peu près ce qu’elle pensait :

— Tu le sais bien, va. Et si t’avais le cœur vrai, tu ne le demanderais pas. T’as pas été honnête, parce que tu blaguais… parce que t’étais tout plein caressant d’abord et que t’as promis tout ce que j’ai voulu pour que je fasse à ton idée. Puis quand c’était fait, t’es devenu tout autre ; tu faisais la tête, tu ne te donnais plus même la peine de dire une petite gentillesse, tu me traitais comme une servante ; et pas seulement ce dimanche à Clamart, mais les jours suivants. J’ai pas besoin d’en dire plus. Je sais ce que je sais et toi aussi. Faut pas me prendre pour une bête.

Il haussa les épaules. Ce n’est pas ainsi qu’il comprenait le jeu. Il savait bien qu’il faut être gentil avant, mais il croyait depuis longtemps que c’était inutile ensuite. L’homme doit courir après les filles, et quand il les a attrapées, c’est à elles de courir. Lilas trichait, elle venait avec des raisons que les filles n’emploient qu’à la fin des fins, quand leur amant ne veut plus d’elles. Mais puisqu’il voulait encore d’elle !

— C’est des bêtises ! fit-il. Tant qu’aux promesses, tu ne viens pourtant pas de Pontoise. Une Parigote sait ce que ça veut dire ! L’amour, c’est pas du commerce, c’est du plaisir.