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SCENE III

DRUSIANA.

Loin de moi ! loin de moi ! infame suborneur ! je rougirais d’échanger plus longtemps des paroles avec vous. Je le vois, vous êtes rempli des ruses du démon !

CALLIMAQUE.

Ma Drusiana ! ne repoussez pas un homme qui vous aime, un homme qui vous est attaché par toutes les puissances de son âme ! Répondez à mon amour.

DRUSIANA.

Je ne fais pas le moindre cas de votre langage corrupteur ; je n’ai que du dégoût pour vos désirs impurs et je méprise profondément votre personne.

CALLIMAQUE.

Je ne me suis pas encore laissé emporter à la colère, parce que je pense que peut-être la pudeur vous empêche d’avouer l’effet que ma tendresse produit sur vous.

DRUSIANA.

Votre tendresse n’excite en moi que l’indignation.

CALLIMAQUE.

Je crois que vous ne tarderez pas à changer de sentiments.

DRUSIANA.

Je n’en changerai jamais, soyez-en sûr.

CALLIMAQUE.

Peut-être.

DRUSIANA.

Homme insensé ! amant égaré ! pourquoi te tromper ainsi toi-même ? pourquoi t’abuser par un vain espoir ? Par quelle raison, par quel aveuglement peux-tu espérer que je cède à tes folles prétentions, moi qui depuis long-temps me suis abstenue de partager la couche légitime de mon mari ?

CALLIMAQUE.

J’en atteste le ciel et les hommes ! Drusiana ! si tu ne consens à répondre à mon amour, je ne prendrai ni repos ni relâche que je ne t’aie fait tomber dans mes pièges !


Scène IV.

DRUSIANA, seule.

Hélas ! Seigneur Jésus-Christ ! que me sert d’avoir fait profession de chasteté ? ma beauté n’en a pas moins été un appât pour ce jeune fou. Voyez mon effroi, Seigneur ; voyez de quelle douleur je suis pénétrée. Je ne sais ce qu’il faut que je fasse : si je dénonce l’audace de Callimaque, je causerai peut-être des discordes civiles ; si je me tais, je ne pourrai sans ton secours, ô mon Dieu ! éviter les embûches du démon. Ordonne plutôt, ô Christ ! que je meure en toi bien vite, afin que je ne sois pas une occasion de chute pour ce jeune voluptueux !



Scène V.

ANDRONIQUE, seul.

Infortuné que je suis ! Drusiana vient de trépasser subitement ! Je cours appeler saint Jean.



Scène VI.

ANDRONIQUE, JEAN.
JEAN.

Pourquoi vous affligez-vous de la sorte, Andronique ? pour quel sujet coulent vos larmes ?

ANDRONIQUE.

Hélas ! hélas ! seigneur ! ma propre vie m’est devenue un fardeau.

JEAN.

À quel malheur êtes-vous en proie ?

ANDRONIQUE.

Drusiana, votre disciple…

JEAN.

A-t-elle quitté sa dépouille humaine ?

ANDRONIQUE.

Hélas ! vous l’avez dit.

JEAN.

Il n’est nullement convenable de verser des pleurs sur ceux dont nous croyons les âmes heureuses dans le repos céleste.

ANDRONIQUE.

Je ne doute pas que son âme, comme vous l’assurez, ne goûte les joies éternelles, et que son corps, innaccessible à la corruption, ne ressuscite au jour marqué. Une chose cependant me pénètre de tristesse ; c’est que par ses vœux elle ait, devant moi, invité la mort à venir la prendre.

JEAN.

Savez-vous quel a été son motif ?

ANDRONIQUE.

Oui, je le sais, et je vous l’apprendrai, si je parviens un jour à me guérir de ma douleur présente.

JEAN.

Allons près d’elle et mettons tous nos soins à célébrer convenablement ses obsèques.

ANDRONIQUE.

Je possède non loin d’ici un tombeau de marbre ; nous y déposerons ses restes. Je chargerai Fortunatus un de mes esclaves, de la garde de ce monument.

JEAN.

Il est convenable que Drusiana soit inhumée avec honneur. Puisse Dieu faire jouir son âme de la joie et de la paix éternelles !