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Salomon l’avait dit : Le Saint même, le Sage,
Aux bruits calomnieux, se trouble et décourage ;
Trouvant l’épreuve dure, et dure la vertu,
Sous le poids de la croix, il se traîne abattu ! —
Oh ! combien d’innocents, vivant dans la prière,
Dans l’amour et l’extase, et dans le jeûne austère,
De ma langue ont senti le dard le plus subtil,
En criant vers le ciel : « Qu’il est long mon exil ! »
Oui, les Saints, dans l’angoisse, ont passé par mon crible,
Et, j’ai par leurs tourments connu la joie horrible ;
J’ai sur ces fils de Job assouvi ma fureur,
Et saisi les troupeaux d’une lâche terreur !
Les armes d’autrefois, aujourd’hui sont les mêmes ;
Nous pouvons contre lui lancer nos anathèmes ;
Nous pouvons faire agir les trames de l’Enfer :
Ce siècle comprendra l’esprit de Lucifer ! —
Les rhéteurs, amoureux de leurs paroles vaines,
Cherchent à réfuter l’éternité des peines !
Aigle, au vol orgueilleux, mon poète Soumet,
Du Parnasse atteignant le plus brûlant sommet,
Avec sa plume d’or, dans le noir Styx trempée,
Pour mon siècle écrivit l’Infernale Épopée ;
Oui, dans ses vers ardents, par moi-même dictés,
Il chanta de l’Enfer les damnés rachetés ;
Et ce dernier espoir, consolante hérésie,
Que la prose propage avec la poésie,
Dans un calme trompeur endort l’humanité
Sur le volcan éteint de mon Éternité !
Le barde de Mâcon vint grossir ma phalange,
Et l’Église en pleurant, vit la « Chute d’un ange ! »
La Muse, en désertant, le céleste Hélicon,
Pour effrayer le Siècle, enfante un noir Byron !
La Poésie, ainsi que la Philosophie,
A secoué le joug de la Théologie ;
Et ce schisme, opéré par mes efforts adroits,
A mis de mon côté les plus puissantes voix ! —

 Quand sur l’Éden en fleurs, « l’Aurore aux doigts de rose »
Pour la première fois ; souriante, est éclose ;
La Poésie est née avec le premier jour,
Avec la liberté, l’innocence et l’amour !
C’est la langue du Beau, la parole sonore,
Flot vibrant de lumière où le Vrai se colore,
Et revêt de l’amour l’éblouissante ardeur,
Et donne à la pensée un manteau de splendeur !
Mais de son but sacré, moi, je l’ai détournée ;
Et pour chanter le mal, changé sa destinée :
La Poésie, alors, égarée en son vol,
Abandonna les cieux pour ramper sur le sol !