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Tout être organisé, qui nage, marche ou vole,
Depuis le ver obscur jusqu’à la luciole,
Depuis l’insecte ailé jusqu’aux lourds éléphants,
Tout être se propage, en créant des enfants ;
C’est là le sort commun, le destin de la foule,
C’est le chemin battu que le grand troupeau foule
Chaque animal y marche à côté des humains,
Plus robuste et plus chaste en ses féconds hymens ;
Le nègre au Blanc parfois dispute, en son ivresse,
Les lauriers, qu’à la Blanche a ravis la négresse ;
Et la brute fougueuse, en son instinct grossier,
Présente à ses petits un sein plus nourricier !
Gloire donc aux humains ! gloire donc à notre Age !
L’instinct universel est pour le mariage ;
L’esprit a pris le joug de l’animalité ;
Au jeûne a succédé la sensualité ;
La chimie en travail, des fleurs, des fruits, des plantes,
Exprime pour la soif les sèves fermentantes ;
On lit, dans les regards troubles et vacillants,
L’amour de l’eau-de-flamme et des charnels penchants.
Tels de noirs carancros, du sein de la lumière,
Sur un cadavre infect s’abattent sur la terre ;
Tels on voit aujourd’hui, d’immondes chairs repus,
Des hauteurs de l’esprit les hommes descendus,
Tout gorgés d’alcohol, près d’un charnier fétide,
Vomir des mets cuvés dans leur sommeil stupide !
Aux hommes de ce siècle, animaux carnassiers,
Il faut de l’eau-de-feu, des aliments grossiers :
Il n’est plus l’âge heureux de la Règle Ascétique,
Où l’esprit affranchi prenait son vol mystique !
Du monde, par la foule au désert préféré,
Grains l’esprit corrupteur, crains l’air pestiféré !
Tous les poisons du monde ont leur douceur perfide :
Heureux l’ermite en paix dans son désert aride !
Insulté par le monde et consolé par Dieu,
Des aveugles clameurs son cœur se trouble peu ;
Dans sa force et sa foi, patient et tranquille,
On dirait, à le voir, le grand bœuf de Sicile :
Tandis que meurt l’insecte, en son bourdonnement,
Le bœuf fait retentir son saint mugissement ;
Et ce cri triomphal, voix de la solitude,
Au cœur de la cité porte l’inquiétude !…
Lorsqu’un lâche pouvoir flattait l’humanité,
Et que nul n’osait plus dire la vérité,
C’est toujours du désert qu’une voix est sortie
Pour menacer les Grands et tout le peuple impie !
Jean-Baptiste, autrefois, après un long repos,
Foudroya des humains les coupables troupeaux ;
Cet ange du désert, mû d’un esprit céleste,
Sur le trône accusa l’adultère et l’inceste ! —