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Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/247

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La vie est un combat ; la lutte, une souffrance ;
Et tu viens nous parler de bonheur, d’espérance !
Ô monde encore plus fou que tu n’es endurci,
C’est par excès d’amour que je te parle ainsi ;
Et qu’il faudrait souvent qu’un rude anachorète,
Pour tonner contre toi, sortît de sa retraite :
Peut être, au bruit tonnant, plus souvent répété,
Tu comprendrais enfin ta noire iniquité ;
Et rentrant en toi-même, après un long vertige,
Tu retrouverais Dieu dans un dernier vestige ;
Et de ta folle vie abdiquant les forfaits,
Dans l’amour de Dieu seul tu chercherais la paix ! —
Mais, il te faut, ô monde ébloui d’espérances,
D’harmonieux discours, de vagues conférences,
Qui, ne heurtant jamais tes vices chatouilleux,
Caressent chaque plaie avec des mots soyeux.
Pour flatter ton esprit, en amusant ton âme,
Pour offrir à tes maux un doucereux dictame,
Je le sais, il te faut d’aimables orateurs :
Tu crains des vérités les blessantes splendeurs !
Ainsi l’œil affaibli de quelque aiglon transfuge
Contre l’éclat du jour cherche un sombre refuge ;
Et de l’astre importun redoutant la clarté,
Ne s’ouvre et ne se plaît que dans l’obscurité !
Ô monde enténébré, que ton sort m’épouvante !
Pour oublier ton Dieu, tu vis dans la tourmente !
Garde, garde pour toi ton bonheur agité :
J’aime mieux les trésors de la sérénité ! —
Garde, garde pour toi ta misère dorée :
Pour moi ta nudité n’est pas assez parée !
Malgré l’éclat pompeux de ton luxe insolent,
Je sais de tes plaisirs l’ennui désespérant !
Sous le linceul brillant, j’aperçois ton cadavre !
L’aspect de tes malheurs ou m’indigne ou me navre !
Oh ! que mon cœur en deuil, accable de douleurs,
Se brise sous le poids de son fardeau de pleurs !
Et l’on ose appeler froide, sauvage et sombre,
L’âme toujours ardente, et qui brille dans l’ombre ;
L’âme qui prie et souffre et gémit devant Dieu,
Pour un monde qui l’aime et l’invoque si peu !
Va, monde accusateur !… un an de solitude,
De saint recueillement, de prière et d’étude,
Loin de toi, dans la paix, a fait luire à mes yeux,
Les suprêmes clartés qui descendent des cieux ;
Je comprends ton esprit d’envie et d’artifice,
Ta malice hypocrite et ta froide injustice ;
Loin de toi, libre enfin, dans un abri plus sûr,
L’homme plus près du ciel aspire un air plus pur ;
Affranchi de ton joug, tranquille, il s’y promène ;
Le fertile désert est son royal domaine !