Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/33

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« En concerts spontanés ou folles parodies !
« Déploie avec ardeur tout ce que tes poumons
« Renferment de puissance et de magiques sons ;
« Car un chanteur des bois, un tendre et doux poète
« Vient de franchir le seuil sacré de ma retraite ! » —
Alors, nous asseyant sur des blocs de noyer,
Sur des blocs à deux mains roulés près du foyer,
En buvant le café devant le feu qui flambe,
Nous improviserons quelque saint dithyrambe ! —
Ô rendez-vous sacrés, suaves entretiens,
De la chaste amitié banquets quotidiens !
Qu’il est bon d’être unis, qu’il est doux pour des frères
De vivre ainsi cachés dans les bois solitaires ! —
Puis, nous verrons venir notre gai troubadour,
Pour accorder sa lyre et chanter à son tour ;
Lui, dont l’humeur rêveuse et la verve mordante
Ornent de fraîches fleurs une satire ardente.
Sous son fouet satirique, et tendrement cruel,
Passeront tous les nains révérés de Babel :
Gazetiers, lourds pédants, avares-et coquettes,
Du monde et du Démon folles marionnettes ! …
Ô rendez-vous sacrés, suaves entretiens,
De la chaste amitié banquets quotidiens !
Qu’il est bon d’être unis, qu’il est doux pour des frères
De vivre ainsi cachés, dans les bois solitaires ! » —

Au bord du Pontchartrain, quand, sous les chênes verts,
Au bruit des flots d’azur, je t’ai relu ces vers ;
Ces vers, écrits pour toi sous l’arbre qui frissonne
Au baiser glacial de la brise d’automne ;
Quand à mes pieds tombait, comme un manteau de deuil,
Comme un funèbre drap jeté sur un cercueil,
Le feuillage plaintif, — hélas ! dans ce feuillage,
Mon cœur n’a pas su voir un douloureux présage ; —
Et la mort est venue !… et maintenant tu dors,
Où ton âme au printemps soupirait ses accords ! —
Sous les chênes du lac, nous n’irons plus ensemble ;
Et quand j’irai m’asseoir sous le saule et le tremble,
Seul m’asseoir, — à mes pieds, le lac avec ses flots,
Le lac, en te nommant, jettera ses sanglots !