Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/109

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« exacte et lumineuse, elle demeure satisfaite. Mais l’amour ne se contente pas si facilement : il faut qu’il reproduise les beautés dont il est touché dans un langage qui émeuve et qui ravisse. L’amour est inquiet : rien ne le satisfait ; mais aussi rien ne lui coûte. Il ajoute à la parole, il lui donne l’essor poétique, il lui prête le rhythme et le chant comme deux ailes.

« Quand la poésie s’est emparée d’une âme qui lui convient, elle ne lui laisse pas de relâche qu’elle n’en ait tiré des chants. » (Ozanam.)

Laissons Scaramelli, l’un des plus grands théologiens mystiques, décrire un des effets de la sainte ivresse et de la poétique irradiation que produit quelquefois l’amour divin dans les âmes contemplatives :

« Nec silentio præteribo allium sanclæ hujus ebrietalis effectum, quem non scolum Harpius annotat, sed & sancta Theresia refert, in eo situm, quod persona nec poëseos, nec metri, quo versus ordinari solent, perita quandoque tamen divini amoris æstro abrepta GRATIOSAS CANTIUNCULAS COMPONAT. Et reapse credimus, in haec amoris ebrietate ab ea fuisse compositam cantilenam amore plenam, in quâ identidem repetit dulce illud intercalare : morior quia non morior. — NEC ID MIRUM habeat lectorem, cum S. Athanasius, S. Joannes Chrysostomus, et sacri codicis interpretes communi consensu Spiritum Sanctum poëseos sacræ amicum aeseverent : quia sicut Deus nihil operatur nisi in numero, pondere, et mensurâ, sic & afficitur erga pia animi sensa certo vocum numero, et regulari metro expressa. Et sane sanctus David divino afflatus spiritu pientissima animi sui sensa describit metro poëtico, prout & mater Ecclesia in Hymnis assolet. » (Directorium mysticum, Tr. III, cap. VII. p. 569, 570, Auctore, P. Joan. Bapt. Scaramello.)

« Poème veut dire littéralement création ; poète, créateur. En ce sens, Dieu est le vrai Poète ; la création, le poème de Dieu. Le but de ce poème est la glorification de Dieu dans les créatures ; sa durée est le temps ; l’univers en est le lieu ; l’action marche d’une éternité à l’autre… Qui connaît bien Dieu, entend facilement le poème de Dieu ; qui le connaît mal, l’entend mal ; qui ne le connaît pas du tout, ne l’entend pas du tout et se perd dans un fragment. Qui le connaîtrait et l’aimerait jusqu’à s’idendifier en quelque sorte avec lui, jusqu’à le contempler déjà, pour ainsi dire, dans son essence, celui-là comprendrait parfaitement tout le poème ; il en comprendrait non seulement l’ensemble, mais encore les détails ; il verrait que tout, jusqu’à un instant et un point, y est esprit et vie. La création entière lui serait une poésie, une musique où chaque mot, où chaque note est vivante et parlante. Ravi au-dessus de lui-même, il verrait, un Saint nous l’a dit (Saint-Jean de la Croix) comment toutes les créatures ont en Dieu la vie, le mouvement et l’être. Il verrait comment, dans le Christ, si diverses qu’elles soient, si dissonantes qu’elles paraissent, elles forment une harmonie ineffable. La vue d’un oiseau, d’un brin d’herbe, suffirait pour éveiller en lui, comme en Saint-François d’Assise, le sentiment de ce divin concert. Son âme en extase, comme il est arrivé à Sainte-Thérèse, s’exhalerait spontanément en stances poétiques.

« Ah ! quand est-ce que nous verrons des poètes répondre à leur sublime vocation ? Quand s’élèveront-ils, par la vivacité de leur foi et de leur amour, jusque dans le sein du Poète éternel ? Quand se disposeront-ils, par la pureté de leur cœur, au souffle divin de l’Esprit vivant qui anima les prophètes ? Ils se plaignent qu’il ne leur reste plus rien à chanter, et les plus célèbres jusqu’ici n’ont fait que bégayer quelques vers du poème infini de Dieu. » (Hist. Univ. de l’Église, par Rohrbacher, Vol. 3, p. 311.)|85}}

Disons maintenant quelques mots de la musique, ce vague écho du ciel, cette langue de l’infini et de l’idéal :

« L’on s’étonnera qu’un prophète (Élisée) recoure à la musique pour se disposer à l’inspiration divine. Il en est qui disent qu’il voulait se remettre de l’émotion qu’il avait éprouvée en parlant au roi d’Israël ; mais cette émotion venant du zèle de Dieu, ne semble point un obstacle à la communication de Dieu. Il est plus vrai de dire que Dieu ne se communique pas toujours à ses prophètes, mais quand il lui plaît et comme il lui plaît. Élisée voulait se préparer au souffle divin, comme un instrument bien d’accord. Mais quel rapport entre le son d’une harpe et le concert d’une âme avec Dieu ? — Un rapport intime. D’a-