Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/110

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« près les Sages de l’antiquité et les Pères de l’Église, en particulier Saint-Augustin, la musique que Dieu a donnée aux hommes est une image, un écho de celle qu’il exécute lui-même dans son immense éternité. L’univers entier est une magnifique harmonie où la divine sagesse, atteignant d’une extrémité à l’autre, dispose tout avec douceur, nombre et mesure. C’est elle qui produit dans un nombre musical l’armée des cieux : ainsi entend l’évêque d’Hippone une parole d’Isaïe (40, 26). Pour ramener l’homme dans cette céleste harmonie, l’éternelle sagesse unit dans sa personne la nature divine et la nature humaine ; ce qu’elle demande, c’est que nous soyons à l’unisson avec elle. Aussi, un Saint-évêque et martyr, Ignace d’Antioche, compare le corps mystique de la sagesse incarnée, l’Église catholique, à une harpe mélodieuse qui rend la louange à Dieu par le Christ. Jean n’a-t-il pas vu les élus dans le ciel, tenant des harpes de Dieu et chantant le cantique de l’Agneau ? Enfin, chaque fidèle est une lyre composée de deux pièces, le corps et l’âme, qui agissent l’un sur l’autre, comme les cordes sur la lyre et la lyre sur les cordes. Augustin, en même temps que les cantiques de l’Église charmaient ses oreilles, sentait la vérité divine couler dans son cœur, y allumer la dévotion, y produire des fontaines de larmes. Il ne faut donc plus s’étonner que le disciple d’Elie, par une harmonie sainte, voulût disposer son âme à une communication prophétique avec Dieu. » (Hist. Univ. de l’Église, vol. 2. p. 274.)

On se demande peut-être, comment, à propos de vie solitaire et contemplative, nous avons parlé de poésie et de musique : Ah ! ne sait-on pas que tout se tient dans l’ordre de la grâce et de la nature ; que toutes les sphères se répondent, s’harmonisent ; et que tout enfin se résout en l’unité de l’archétype !

Mais revenons aux personnes qui sont organisées avec cette subtile délicatesse dont nous avons essayé de dire quelque chose.

Malheureuses au milieu du monde, qui ne les comprend pas, ces personnes éprouvent un malaise intolérable au contact glacial des hommes positifs ; elles s’affectent vivement et s’affligent profondément ; elles sont sensibles et sympathiques au point d’absorber une grande partie de la souffrance des autres ; elles sont passives ou passionnées ; elles subissent l’action des autres, et réagissent puissamment sur ceux qui les entourent ; elles ne sont jamais indifférentes ; on les voit souvent orageusement emportées par les sens, ou angéliquement élevées par l’esprit ; elles sont tour à tour exaltées ou abattues. Tout, dans leur conduite, a un caractère de spontanéité et d’inspiration ; leur manière d’être tient plutôt de l’intuition que du raisonnement et de la réflexion. Elles sont plus dégagées de la matière infime, et communiquent plus facilement avec le monde invisible des esprits.

Il n’est pas juste et selon la charité que ces frêles et fébriles constitutions soient livrées, comme de fragiles hochets, aux chocs violents et répétés des tempéraments de fer ; qu’elles soient heurtées chaque jour par ces lourdes charpentes humaines. Il n’est pas juste et selon la charité qu’elles soient molestées par une aveugle et impitoyable force physique, par une robuste et antipathique santé matérielle. — Et d’ailleurs, de quel côté est la santé véritable, la santé selon le Médecin divin ? Est-ce du côté de la chair animalisé, matérialiste, ou est-ce du côté de la chair spiritualisée, et pour parler le langage de Tertullien, caro angelificata ? S’il y a un corps animal et grossier, nous dit l’Apôtre, il y a aussi un corps spirituel : — De quel côté est donc l’état normal, l’état de santé désirable ? Répondez pour nous, ô saints et saintes, qui n’avez pas joui d’une santé grossière et invariable !.