Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/111

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En supposant que tout soit dans l’ordre de la Providence, chacun a une santé relative et proportionnée à son état : la santé d’un moine contemplatif n’est pas la santé d’un missionnaire, d’un homme d’action. À celui qui est appelé à mener une vie tranquille et inactive, une vie de prière et d’étude, Dieu donne une santé en rapport et en harmonie avec cette vie angélique ; — et à celui qui est destiné à une vie active et fatigante, Dieu accorde des forces plus grandes, une santé plus robuste et capable de supporter les fatigues : mais il ne faut pas conclure de là, que le premier est malade, et que le second se porte bien. — Et puis, qu’on se souvienne que d’après la loi de la solidarité et de la réversibilité, c’est souvent à la maladie de l’un qu’est due la santé de l’autre, que l’innocent expie souvent pour le coupable, et que le saint souffre pour le pécheur. Mais admettons que toutes les personnes très nerveuses soient continuellement sous l’influence d’une sorte de fièvre névralgique, le remède est-il au milieu du monde, parmi les objets surexcitants, dans le tourbillon des plaisirs ou la tourmente d’une vie publique ? Écoutons ce que dit un célèbre médecin allemand :

« It would, indeed, be the height of absurdity to recommend to a person suffering under a derangement of the nervous system, the diversions and dissipations of public life, when it is known, by sad experience, as well as by daily observation, that the least hurry disorders their frame, and the gentlest intercourse palpitates their hearts. The healthy and robust can have no idea how violent the slightest touch vibrates through the trembling nerves. The gay and healthy, therefore, seldom sympathize with the sorrowful and the sick. » (Zimmerman.)

En retenant ces personnes dans le monde, loin d’améliorer leur état, on l’aggrave d’une manière dangereuse et pour leur bien-être et pour leur salut. Mais le monde dit, que la solitude est mauvaise, qu’elle exalte l’imagination et nourrit la mélancolie, et qu’il faut les distractions mondaines. Quoi ! les plaisirs, le luxe, le bal, le spectacle, les fêtes prolongées dans la nuit, la lecture des romans, les émotions et les ivresses des sens, la fièvre des passions n’exaltent pas, n’agitent pas, mais calment et guérissent ? Ô aveuglement du monde ! Ô concupiscence de la chair !

« Je hais les villes, dit Lamartine, de toute la puissance de mes sensations rurales. Je hais les villes, comme les plantes du Midi haïssent l’ombre humide d’une cour de prison. Mes joies n’y sont jamais complètes, mes peines y sont centuplées par la concentration de mes yeux, de mes pas, de mon âme, dans ces foyers de regards, de voix, de bruit et de boue. J’analyserais et je justifierais en mille pages cette impression des villes, ces réceptacles d’ombre, d’humidité et d’égoïsme, que le poète Cowper a défini si complètement pour moi, en un seul vers :

C’est Dieu qui fit les champs, l’homme qui fit les villes.

(Nouvelles Confidences.)

Les personnes nerveuses sont comme étrangères dans le monde ; elles sentent ce que les autres n’ont jamais senti, et ne peuvent comprendre ; elles passent pour extravagantes et folles ; on les regarde comme d’inexplicables anomalies : Et voilà pourquoi, incomprises de tous, elles fuient une société, qui les blesse et les condamne avec une froide et cruelle injustice. Heureuses d’échapper à cette société insensible et dure, elles se jettent, avec un filial abandon, dans les bras maternels de la solitude ; elles demandent à la nature, avec des cris plaintifs, avec des accents douloureux de prière et d’amour, elles demandent le silence et le repos, et cet esprit de calme et de vie qui circule