Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/123

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« tromperie, que les yeux ne voyent de tous côtés que des écueils et que l’esprit ne conçoive qu’un désespoir ; au moins, rentrez en vous-même, et soyez instruit de la vanité des choses du monde à vos dépens.−

« Ne vous jugez-vous pas bien infortuné d’avoir attaché vos affections à des biens qui ne peuvent aucunement les satisfaire ? Combien de pas avez-vous fait ; combien de soins, de veilles, d’inquiétudes avez-vous pris ? Combien de services et de sujétions honteuses avez-vous rendues, pour voir quelque effet de vos désirs ? et cependant ce que vous poursuivez disparaît comme un phantasme, quand vous êtes sur le point d’en avoir la jouissance. Hélas ! si vous eussiez employé la moindre partie du temps à ménager votre salut éternel, vous en auriez maintenant le repos d’esprit, et les espérances de la gloire adoucieraient les aigreurs de cette vie misérable ! Vous connaissez par expérience que les saveurs de la terre sont trompeuses, ses joies funestes ; que les grandeurs ravalent les âmes à des actions indignes de son excellence, et que la mort moissonnant toutes ces délices laisse un éternel repentir de s’être amusé à leur recherche. Ce grand appareil, ces pompes, ces magnificences, ne sont qu’une fumée, qu’un songe qui abuse l’imagination. Il faut que vous donniez un objet plus noble à votre amour. Vous êtes né pour chose plus grande ; et ce serait manquer par trop de courage, de conserver encore de l’affection pour des choses qui ne vous méritent pas, et qui vous ont traité si indignement.

« Venez donc, âme sainte, car c’est Jésus-Christ qui vous appelle, qui vous détache du monde par tant d’efforts, qui vous en sèvre par ses amertumes. C’est lui qui brise vos chaînes pour vous rendre votre liberté, qui vous tire d’un sépulcre plein de pourriture pour vous ressusciter avec lui, et vous faire respirer un air plus doux dans un cloître. Ne craignez pas que ces disgrâces diminuent le mérite de votre vocation. Le port reçoit également, les vaisseaux, qui y sont portés par un vent ou contraire, ou favorable : l’Arche fut ouverte à la colombe, qui n’y retourna que parce qu’elle ne trouvait point de terre pour se reposer. Saint-Paul Hermite ne se retire dans le désert que pour fuir la persécution ; et néanmoins Dieu rend sa solitude florissante, et le fait illustre en sainteté et en miracles. Ce fut la contrainte des Tyrans qui engagea les Martyrs dans les supplices, qui leur ont fait mériter les palmes et les couronnes qu’ils ont au ciel : De même quand ce serait la violence d’une affliction qui vous ferait épouser les austérités religieuses, comparées à un long martyre, ne croyez pas que les sentiments de piété et les récompenses de la gloire en deviennent moindres.

« HEUREUSES DISGRACES qui ont rendu le bien nécessaire, qui ont fait éclore les saints désirs qu’une grande prospérité tenait étouffé, et qui ont fait entendre la voix du ciel, encore que ce soit comme aux enfants d’Israël, avec les foudres et les tempêtes. Fabius animait ordinairement le courage de ses soldats, ou en leur faisant chanter des injures par les ennemis ou les réduisant en un état, dont ils aimèrent moins souffrir l’incommodité, que de donner le combat. Dieu fait de même, il aiguillonne les esprits par les afflictions temporelles, pour leur donner le sentiment de l’éternité, et leur faire prendre une généreuse résolution de se défaire d’un ennemi, dont l’insolence est insupportable. Il a différé le comble des grâces qui devaient gagner votre résolution jusqu’à ce temps. C’est assez que vous ayez suivi l’ordre de sa providence, que vous ayez eu le courage de supporter ses épreuves, et la résolution de donner le choc à votre ennemi, quand la voix du ciel vous en a donné le signal intérieurement.

« Il est vrai que c’est avec une extrême répugnance, que nous déclarons la guerre aux plaisirs qui sont alliez de notre nature, et avec lesquels nous sommes élevés dès le berceau : mais leur perfidie est trop noire, notre querelle est trop juste ; et les intérêts de la gloire de notre Prince y sont par trop engagés, pour ne nous pas résoudre à ce combat.

« Les nuits qui devancent les grandes crises sont fort mauvaises aux malades ; mais celles qui suivent sont d’autant plus tranquilles, que les précédents accès auront été violents. Après tant d’inquiétudes, tant de larmes, tant d’inconstances, une bonne résolution rend la paix à l’âme, et n’y a rien de tel que de s’y porter avec une ardeur d’esprit, semblable à celle que les Romains demandaient de leurs soldats quand ils allaient à l’attaque : Volez, et mettez toutes les voiles au vent pour vous rafraîchir au port après la tempête ; allez avidement à la table, après avoir