Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/124

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« souffert si longtemps une extrême faim ; prenez le repos après le travail, et que les caresses vous soient douces après tant d’injures.

« Retenez les mêmes passions que vous aviez ; mais changez d’objet. Que votre amour contemple la beauté divine ; que votre ambition aspire à un royaume céleste ; soyez avaricieux des grâces et des mérites, et amassez ce trésor qui ne peut périr.

« Dans le règlement d’une vie religieuse vous serez le juge de la confusion du monde, et un conseiller capable de la plus grande fortune, parce que vous aurez éprouvé la pire. Vous ne verrez plus d’attraits, dont vous ne découvriez les artifices ; plus de plaisirs, d’honneur, d’éclat, dont vous ne plaigniez les secrettes inquiétudes. Tous vos pas vous feront ressouvenir de vos plaies et de vos victoires, et vous seront des ressouvenirs de rendre des actions de grâces à la puissance divine, qui vous a rendu la liberté. Le monde n’aura plus de quoi faire naître une étincelle d’amour dans votre cœur, après que vous lui aurez fait tomber le fard ; il n’aura plus droit de vous demander comme sien, après vous avoir exposé à la misère : vous serez tout entier à vous, et à celui à qui vous appartenez par la naissance et par le rachat. Suivez donc votre généreuse résolution, soldat de Jésus-Christ, sortez de ce monde : cette fuite est une victoire que vous emportez sur Lui ; c’est forcer ses gardes, rompre ses prisons, briser ses chaînes, et échapper aux mauvais traitements qu’il vous faisait, comme à son esclave. Achevez de rompre les liens qui vous tenaient attaché aux objets des sens, pour recevoir les caresses, et toucher les palmes qui vous attendent dans une plus heureuse condition. (Les triomphes que la vie religieuse a emportés sur le monde et sur l’hérésie, ch. XII, p. 108 et suiv. par le R. P. Ives de Paris, Capucin.)

Après le langage bossuélique du P. Ives, laissons parier Bossuet lui-même, sur la nécessité de la solitude pour parvenir à une solide conversion.

« La voix qui nous invite à la pénitence se plaît à se faire entendre dans le désert. Il faut quitter le grand monde et les compagnies ; il faut aimer la retraite, le silence et la solitude, pour écouter cette voix qui ne veut point être étourdie par le bruit et par le tumulte des hommes. La première chose que Dieu fait quand il veut toucher un homme du monde, c’est de le tirer à part pour lui parler en secret.

« Et certes nous errons dans le principe si nous croyons que l’esprit de componction et de pénitence puisse subsister dans le commerce éternel du monde, auquel nous abandonnons toute notre vie. Un pénitent est un homme pensif et attentif à son âme. Un tel homme veut être seul, veut avoir des heures particulières ; le monde l’importune et lui est à charge.

« Si nous demandons à Tertullien ce qu’il craint pour nous dans le monde : tout, nous répondra ce grand homme, jusqu’à l’air, qui est infecté par tant de mauvais discours, par tant de maximes anti-chrétiennes : Ipsumque aerem… scelestis vocibus constupratum. (De spect. n. 27.)

« Ne vous étonnez donc pas si je dis que le premier instinct que ressent un homme touché de Dieu, est celui de se séquestrer du grand monde. La même voix qui nous appelle à la pénitence, nous appelle aussi au désert, c’est-à-dire au silence, à la solitude et à la retraite. Écoutez ce saint pénitent : je suis, dit-il, devenu semblable au pélican des déserts et au hibou des lieux solitaires et ruinés : j’ai passé la nuit en veillant, et je me trouve comme un passereau tout seul sur le toit d’une maison. » Au lieu de cet air toujours complaisant que le monde nous inspire, l’esprit de pénitence nous met dans le cœur je ne sais quoi de rude et de sauvage. Ce n’est plus cet homme doux et galant qui liait toutes les parties ; ce n’est plus cette femme commode et complaisante, trop adroite médiatrice et amie trop officieuse, qui facilitait ces secrètes correspondances : ce ne sont plus ces expédients, ces ouvertures, ces facilités : on apprend un autre langage ; on apprend à dire : Non ! à dire : je ne peux plus ! à payer le monde de négatives sèches et vigoureuses ! On ne veut plus vivre comme les autres ni avec les autres ; on ne veut plus s’approcher ; on ne veut plus plaire ; on se déplaît à soi-même !….

« Au reste, ne croyez pas que je vous fasse ici des discours en l’air, ni que je vous prêche des regrets et des solitudes imaginaires. Toutes les histoires ecclésiastiques sont pleines de saints pénitents, qu’une douleur immense de leurs péchés a poussés dans les déserts les plus reculés ; qui ne pouvant plus sup-