Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/125

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porter le monde, dont ils avaient suivi les attraits trompeurs, ont été enfin remplir les déserts de leurs pieux gémissements. Ils ne pouvaient se consoler d’avoir violé leur baptême, profané le corps de Jésus-Christ, outragé l’esprit de grâce, foulé aux pieds son sang précieux dont ils avaient été rachetés, crucifié leur Sauveur encore une fois. Ils reprochaient à leur âme, épouse infidèle, blanchie au sang de l’agneau, qu’au milieu des bienfaits de son époux, dans le lit même de son époux, elle s’était abandonnée à son ennemi. Ils versaient des ruisseaux de larmes. Ils ne pouvaient supporter le monde qui les avait abusés, ni ses fêtes, ni ses vanités, ni son triomphe qui détruit le règne de Dieu. Ils allaient chercher des lieux solitaires pour donner un cours plus libre à leur douleur… Je n’ajoute rien à l’histoire : il semblait qu’ils prenaient plaisir à ne voir plus que des objets qui eussent quelque chose d’affreux et de sauvage, et qui leur fussent comme une image de l’effroyable désolation où leurs péchés les avaient réduits.

« Quels exemples nous proposez-vous ? (me dira-t-on peut-être.) Voulez-vous déserter le monde ? Il ne faut plus espérer de pareils effets de la pénitence en nos jours ! Saint Jean-Baptiste en personne pourrait prêcher encore une fois ; il ne nous persuaderait pas de quitter le monde pour aller pleurer nos péchés dans quelque coin inconnu, dans quelque vallée déserte. Notre salut ne nous est pas assez cher, nous ne mettons pas notre âme à un si haut prix ; elle ne nous est pas assez précieuse, quoiqu’elle ait coûté le même sang… Une âme sincèrement touchée, médite contre soi-même des choses extrêmes ! (Bossuet, sur la véritable conversion.)

Au milieu des désordres actuels, aujourd’hui que la corruption est presque générale, le repentir sincère si rare, la mortification si redoutée, — qui oserait dire que les grandes expiations, que les pénitences extraordinaires ne sont plus aussi nécessaires qu’autrefois ? Qui oserait s’écrier encore, comme jadis les païens : à quoi bon des solitaires ? —

« À quoi bon des moines et des religieuses ? » — C’est-à-dire, à quoi bon le progrès moral ? à quoi bon se rapprocher de l’état primitif de l’humanité glorieuse et pure, de l’état futur de l’humanité impeccable et sauvée ? à quoi bon rendre son éclat à l’image de Dieu ternie par la chute originelle ? à quoi bon des prières pour nous tous ? à quoi bon l’exemple qui peut détacher les âmes des tromperies de la terre, les solliciter vers le ciel et les remettre à Dieu ?

« Passe pour les martyrs ! » — Mais le martyr n’est pas moins ici que sur le chevalet : le corps souffre également, et l’âme rayonne à travers le nuage opaque que la douleur déchire et disperse. Sacrifice des biens, des jouissances, des affections de la vie, tout y est : la durée seule diffère.

« Passe pour des apôtres, pour des péricateurs de l’Évangile ! » L’exemple n’est-il pas le plus grand des prédicateurs ? Il a de plus invincibles entraînements que la parole ! Il fallait de ces chrétiens excellents pour apprendre aux habitués de la corruption antique que les obligations ordinaires de la vie chrétienne étaient loin d’être impossibles puisqu’au delà même du devoir indispensable, des hommes embrassaient avec amour les rigueurs de la perfection. Spectacle étrange dans l’atmosphère païenne, sous le règne de l’orgueil et de la dégradation, que ces anachorètes et ces vierges merveilleuses survenues tout-à-coup ! — Quelle surprise ! quelle inquiétude ! quelle gêne ! quel ébranlement ! quelle admiration ! quel entraînement ! C’était un modèle continu, une réalisation constante des préceptes évangéliques : c’était comme un fond solide sur lequel le christianisme avait jeté l’ancre et qui l’empêchait de dériver aux courants de l’esprit subtil. On savait toujours où retrouver le Christ agissant : il était au désert, à l’abri des variations, et transmis par la continuité des exemples.

« Il fallait bien que l’univers reconnût dans l’exercice héroïque de toutes les vertus quelque chose de divin. Ces grandes choses ne restèrent point un spectacle stérile. On comprit le prodige des vices détruits, des passions éteintes, des faiblesses vaincues, des volontés chancelantes et infirmes devenues soudain inébranlables et fortes ; des intelligences insouciantes et ténébreuses, éclairées tout-à-coup et passionnées pour la vérité. (Le livre des Saints, N. V. D’Esgny.)

On doit comprendre, d’après tout ce