Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/146

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« innocentes sont observées, critiquées et interprétées en mal. Qu’on ne s’y méprenne pas ; on se trompe en pensant que le monde jugera favorablement le prêtre qui s’y présente comme un homme de bonne compagnie, de bon ton, qui se montre complaisant, qui sait fort bien s’y prendre dans toutes les situations, et qui est honoré du titre enchanteur d’un prêtre séculier bien poli. Il n’échappera pas pour cela à la censure du monde. Une conduite vague et irrésolue ne convient plus de nos jours ; il faut se déclarer avec précision pour l’un ou pour l’autre parti. Je sais bien que souvent l’ignominie et le mépris sont le partage du prêtre qui se voit en opposition avec un grand parti auquel il est un scandale et une folie ; mais que cela ne l’empêche pas de montrer la plus grande exactitude dans l’obéissance qu’il doit à l’Église, à son chef visible et à son Évêque. » (Le prince abbé de Hohenlohe, ses mémoires, p. 95, 96.)

Le prêtre est le sel de la terre, — sal terræ ; il est la lumière du monde, lux mundi : si le sel s’affadit, si la lumière s’obscurcit ou déteint, que deviendra la terre, que deviendra le monde ? La mission du prêtre véritable est de répandre le sel qui prévient ou détruit la corruption ; et la lumière qui dissipe les ténèbres de l’esprit, réchauffe le cœur, et donne la vie à ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort. Clama, ne cesses, nous dit un prophète : criez, élevez sans cesse la voix ! — Prœdica verbum, insta opportune, importune, nous dit l’apôtre : annoncez la parole, pressez les hommes à temps et à contre-temps, ne fût-ce que pour inquiéter le vice et empêcher l’erreur de prescrire !

Mais si le monde est tel, et si telle est la position périlleuse de l’homme au milieu du monde, c’est donc à celui qui s’y trouve sans un ami, et comme isolé, c’est à lui surtout qu’il faut dire : væ soli ! Au milieu de l’égoïsme, de l’envie et des inquiètes rivalités qui règnent aujourd’hui, nous avons besoin, plus qu’en aucun autre temps, d’un ami sincère et éclairé, courageux et dévoué ; d’un ami particulier, confidentiel, et choisi entre mille.

Dans la vie religieuse on peut se passer de l’appui et des encouragements d’un ami particulier : tous les religieux d’un même ordre sont unis par la charité ; chacun est porté au bien par le bon exemple général ; chacun est soutenu et protégé par la force de tout le corps, par l’esprit de tout l’ordre. Dans le monde, ce n’est plus cela : nous nous trouvons seul en face de nombreux ennemis, qui se déguisent et se transforment pour nous séduire ; nous avons à lutter contre le cours impétueux du grand fleuve de la corruption générale ; nous sommes entraînés par le courant magnétique des idées et des passions mauvaises ; nous dérivons chaque jour vers des syrtes cachées : nous avons donc besoin d’un ami selon Dieu, comme d’un point d’arrêt et d’appui ; nous avons besoin, sur cette mer orageuse et semée d’écueils, d’une étoile brillante, d’une boussole invariable, d’un gouvernail sûr ; sans l’amitié conseillère et directrice, clairvoyante et pleine de sollicitude, que deviendrait notre barque, incertaine de sa route au milieu de la tempête ? — C’est donc surtout à celui qui est sans un ami au milieu du monde qu’il faut dire : væ soli ! — malheur à celui qui est seul !

« L’ami fidèle, nous dit le Saint-Esprit, est un remède qui donne la vie et l’immortalité ; ceux qui craignent Dieu, trouvent un tel ami. » (Eccles. 6, 16.)

« L’ami fidèle est une forte protection ; celui qui l’a trouvé a trouvé un trésor. (Eccles. 6, 14.)

Mais si c’est Dieu qui nous donne un ami fidèle, c’est Dieu aussi qui nous