Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« mêmes entraînés par le même torrent, qui doit bientôt les conduire à l’Éternité.

« Ô désert ! vous êtes la véritable forteresse de David ; c’est là que s’exercent les Forts d’Israël : Mille clypei pendent ex ea, omnis armatura fortium ; (cant. 4.) c’est là que la chair combat contre l’esprit, que le plus faible triomphe du plus fort : les Anges sont spectateurs du combat ; en vain les ennemis frémissent ; les Solitaires sont armés du bouclier de la Foi ; Dieu leur a dit : Dominus pugnabit pro vobis, et vos tacebitis. (Exod. 14.)

« C’est dans le désert que Moïse reçut deux fois les tables de la Loi ; c’est dans le désert qu’Élisée hérita du double esprit du Prophète Élie. Jésus-Christ a voulu que son Précurseur fut habitant du désert ; c’est dans le désert qu’ont commencé à briller les premiers rayons de cette aurore qui annonçait la venue du Soleil de Justice.

« La vie solitaire et religieuse est l’échelle mystérieuse de Jacob : c’est le chemin court et facile qui conduit les hommes à la céleste Patrie. Ô vie sainte ! qui êtes la mort du péché, et qui purifiez l’âme de toutes ses taches, c’est vous qui liez entre le ciel et la terre un commerce intime ; les habitants du ciel s’entretiennent avec ceux de la terre ; ces entretiens ne sont point incompatibles avec le silence ; ce n’est que la voix du cœur qui se fait entendre.

« Qu’il est beau de voir un Solitaire passer les nuits à chanter les louanges du Seigneur ! il veille comme la sentinelle à l’entrée du camp d’Israël. Ô désert ! vous êtes le dépositaire de ces entretiens secrets du Créateur avec la créature. Vous avez le bonheur d’être arrosé de ces larmes de pénitence et de componction que la grâce fait couler en abondance ! — Le désert pourrait être comparé au tombeau de Jésus-Christ ; il reçoit les hommes morts, et il les rend vivants et ressuscités. C’est un port où doivent se retirer ceux qui veulent éviter la tempête ; c’est là que doivent chercher des remèdes à leurs maux ceux qui ont été blessés par le démon ; ils y trouveront le véritable Médecin de leurs âmes.

« C’est cette heureuse solitude que Jérémie avait en vue lorsqu’il disait : Bonum est præstolari cum silentio salutare Dei, bonum est viro cum portaverit jugum ab adolescentia sua ; sedebit solitarius et tacebit, quia levavit super se. (Thren. 32.) ô heureuse solitude ! c’est vous qui inspirez de l’humilité aux orgueilleux, de la tempérance aux débauchés, de l’humanité aux plus insensibles, de la modération aux plus emportés. C’est dans le désert que l’on trouve un frein aux langues médisantes, un remède aux tentations de la chair. Sainte solitude ! les vrais enfants de lumière vous aiment et vous chérissent ; ceux qui vous fuient sont dans les ténèbres ! Que ma langue s’attache à mon palais, si jamais je viens à vous oublier : Si oblitus fuero tui… oblivioni detur dextera mea, adhæreat lingua mea faucibus meis, si non meminero tui. (Ps. 136.)

« Hæc requies mea in sæculum sæculi, hic habitabo quoniam elegi eam. (Ps. 131.)

« Ô désert ! les biens que vous nous offrez ont l’écorce amère, mais ils ont une douceur cachée et une moëlle agréable. Ô désert ! refuge des malheureux, asile de l’innocence, c’est à vous que David eut recours, lorsqu’il voulut se dérober à la persécution de ses ennemis, et dissiper les chagrins dont il était dévoré : Ecce elongavi fugiens, et mansi in solitudine. Mais pourquoi rapporter ici l’exemple de David ? le Sauveur du monde s’est retiré plus d’une fois dans le désert durant le cours de sa vie, et l’a consacré par sa présence ; à peine fut-il baptisé, que l’Esprit le conduisit dans le désert ; suivant la parole de l’Évangile, il y demeura quarante jours et quarante nuits, au milieu des bêtes farouches. Ô désert ! séjour redoutable aux Démons ; les cellules des Moines leur paraissent comme autant de tentes dressées au milieu du camp d’Israël ; ce sont les Tours de Sion ; ce sont les remparts de Jérusalem ; c’est ici que je pourrais bien m’écrier : Ô que j’aime les tentes d’Israël semblables à des cèdres plantés sur le bord des eaux. Quam pulchra tabernacula tua, Jacob, et tentoria tua, Israël, ut valles nemorosæ, ut horti juxta fluvios irrigui, ut tabernacula quæ fixit Dominus, quasi cedri prope aquas. (Num. 24.)

« Ô vie solitaire ! vie angélique ! non, ma langue ne peut exprimer les sentiments de mon cœur ; vous n’êtes connue que de ceux qui sont capables de vous aimer ; il faut pour vous louer dignement avoir eu le bonheur de reposer dans votre sein. Comment des hommes charnels pourraient-ils vous connaître ? ils ne se connaissent pas eux-mêmes ! Dieu habite dans le cœur de celui qui habite dans le désert ; il est le vainqueur des Démons, le compagnon des Anges ; il est exilé du monde, mais il