Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/160

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« sache pour l’accomplissement de vos saintes volontés ; faites qu’il trouve dans ces demeures écartées, où je me suis caché, comme les oiseaux sauvages dans les fentes des rochers inaccessibles, ce profond repos et cette sûreté parfaite, que vous ne refusez point à ceux qui ont tout quitté pour vous servir dans le désert. » (L’abbé de Rancé.)

« Toutes les fois que le démon voudra vous inspirer du dégoût de votre solitude, c’est ainsi que vous devez lui parler : « vous me promettez les biens du monde, je les connais ; c’est pour les fuir et pour les éviter, que je me suis retiré dans le désert ; ce sont de faux biens, ce sont des biens funestes ; j’ai vu le monde, j’ai conversé avec lui ; à peine y ai-je rencontré un seul homme qui craignit véritablement le Seigneur : les uns passaient le temps à s’entretenir de bagatelles, les autres ne songeaient qu’à s’enrichir par toutes sortes de voies ; j’en ai vu que l’ivresse rendait semblables aux bêtes ; j’ai vu des femmes dont les attraits pernicieux portaient dans les cœurs des atteintes mortelles, et j’ai compris combien il était difficile de conserver sa pureté dans le monde ; si j’ai entendu quelques discours où la Religion parut avoir quelque part, c’était le langage de l’hypocrisie, plutôt que celui de la vertu ; les actions n’y répondaient pas. J’ai vu les spectacles profanes ; j’ai entendu les sons harmonieux que la volupté emploie pour faire couler dans les cœurs ses maximes impures ; le monde m’a semblé une mer orageuse toujours agitée par une infinité de tempêtes. Que me servirait-il d’y demeurer ? Suis-je en état de soutenir l’innocence opprimée ? Puis-je ramener les mondains dans les voies de la vérité et de la justice ? J’ai donc mieux aimé me retirer dans cette solitude, comme le passereau qui veut se dérober aux coups et aux pièges du Chasseur : Anima nostra sicut passer erepta est de laqueo venantium. (Ps. 123) ; c’est dans ce désert que je veux vivre et mourir. (St-Basite-le Grand, ex Epist ad Chil.)

« La solitude est l’école de toutes les vertus chrétiennes ; c’est dans elle que l’on apprend la céleste doctrine ; on n’y est occupé que de Dieu et de son salut ; la solitude est une espèce de Paradis terrestre, émaillé de mille fleurs, dont Dieu seul connaît tout le prix et tout l’agrément ; la charité semblable à une rose, dont le lustre paraît ardent et enflammé, charme les yeux du Seigneur ; la chasteté comme un lys plus blanc que la neige, rend nos âmes agréables à ses yeux ; l’humilité, semblable à une violette humble et timide, cachant ses attraits, les met à l’abri de l’orage et de la tempête ; l’encens d’une Prière fervente et continuelle, toujours échauffée par le feu du divin amour, y répand un parfum délicieux ; toutes les vertus y fleurissent, et en font l’ornement par une aimable variété.

« Ô désert ! charmant séjour des âmes fidèles ! source inépuisable de consolations et de douceurs ! vous êtes cette fournaise mystérieuse où l’on demeure au milieu des flammes de la concupiscence sans en être brûlés, où les seuls liens qui nous attachent au monde sont consumés ; c’est là que l’on peut s’écrier avec le Prophète : Dirupisti vincula mea, tibi sacrificabo hostiam laudis. C’est dans cette fournaise que se purifie l’or dont on doit former des vases au Seigneur.

« C’est là que par un commerce dont l’avantage est inestimable, on échange les biens de la terre pour les biens du ciel, des biens fragiles et périssables pour des biens éternels et incorruptibles ; on achète le ciel, et pour l’acheter, il n’est pas nécessaire de donner beaucoup ; il suffit de donner ce qu’on a. C’est là que par des souffrances courtes et légères on peut mériter un contentement éternel ; c’est là que des joies immenses sont le prix de quelques larmes versées dans le sein du céleste Époux ; on renonce à l’héritage de ses parents, pour avoir part à l’héritage céleste.

« Ô désert ! quelles sont les saintes occupations de ceux qui vous habitent ? ils travaillent à retracer en eux l’image presque effacée de leur Créateur et de leur Dieu ; ils tâchent de rappeler la première pureté de leur origine ; leur esprit, appesanti par la nature corrompue, s’élève et se fortifie ; leurs visage sont pâles et desséchez par le jeûne, mais leurs esprits sont pleins de force et de vigueur. Ils ne connaissaient point Dieu, ils ne se connaissaient point eux-mêmes ; une vive lumière a dissipé les épaisses ténèbres dans lesquelles ils étaient plongés ; ils voient Dieu maintenant ; mais ils le voient avec l’œil d’une conscience pure, ils commencent à retourner à leur principe, et à être rétablis dans cette ancienne dignité, de laquelle ils étaient déchus : Élevés au-dessus de toutes les choses de la terre, ils voient au-dessous d’eux tous les biens d’ici-bas, entraînés par un torrent rapide ; ils se voient eux-