Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/19

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joie ici-bas que dans les larmes de la pénitence, et de douceur que dans l’amertume de ces larmes expiatoires.

C’est à vous qui ne voulez pas encourir l’anathème de l’Église et avoir à répondre devant Dieu du salut des âmes que vous aurez détournées de leur vocation religieuse, en vous rendant complices du monde et de l’Esprit de ténèbres pour les retenir dans le siècle, malgré leur attrait et leurs efforts pour entrer dans un cloître ou embrasser la solitude, afin de faciliter leur salut, cette Grande et unique affaire !

C’est à vous, âmes sensibles et compatissantes, natures souffrantes et sympathiques, qui êtes trop vivement affectées par le désordre des vices et des malheurs publics ; vous qui n’avez pas encore trouvé le secret de cette froide sainteté, de cette impassible philosophie, de cette tranquille et imperturbable raison, qui fait accepter les hommes tels qu’ils sont et les choses telles qu’elles viennent ; qui fait, qu’en se livrant à une joie bruyante et mondaine, on rit et plaisante de tout, au milieu de tant de sujets d’alarmes, de tristesse et de gémissements ; vous qui ne pouvez penser à l’aveuglement du monde, et réfléchir sur l’irréflexion de tant d’hommes entraînés par le tourbillon de ses plaisirs, sans être, comme dit l’Evêque d’Hippone, saintement tristes et heureusement malheureux ; vous qui n’entretenez pas avec le monde une secrète correspondance et ne gardez pas pour lui au fond du cœur de profanes sympathies ; vous enfin qui, comme le Roi-Prophète, ne pouvant supporter le spectacle de l’iniquité, et le front voilé d’une mélancolie divine, avez fui dans la solitude, pour y répandre vos larmes et y faire entendre vos gémissements inénarrables.

C’est à vous à qui Dieu a donné de comprendre que la plus grande des puissances sur la terre, la plus puissante des actions, c’est la Prière ; — action humble, silencieuse, inaperçue, toute spirituelle, instantanée et universelle ; action méconnue, récompensée par l’indifférence, l’oubli, l’ingratitude, la calomnie ; action qui saisit et étreint tous ceux qui échappent à la parole, à l’écriture, à l’action ordinaire et matérielle ; action, en un mot, toute puissante ! C’est elle qui atteint l’inconnu, l’absent, le pécheur fugitif, le blasphémateur, le calomniateur, le bourreau, tout homme sur la terre, et toute âme dans le Purgatoire ! Plus expansive que la parole et l’écriture, plus rapide que l’éclair et l’électricité, plus saintement audacieuse et formidable que tous les autres agents, elle s’attaque à Dieu même, elle ose lutter avec le Tout-Puissant ; elle le désarme, elle arrache la foudre de ses mains, et victorieuse de sa résistance, elle brise ses arrêts de justice et fait régner sa miséricorde !

C’est à vous qui, désenchantés des charmes trompeurs du monde, et épris des célestes beautés de la solitude, cette reine si abandonnée aujourd’hui, espérez de voir renaître et briller d’une splendeur nouvelle les plus beaux jours de l’antique Thébaïde ; à vous qui croyez, et qui croyez comme tous devraient croire, que Dieu suscitera encore des Paul, des Antoine, des Hilarion, des Pacôme, des Arsène, des imitateurs de tant de Solitaires angéliques, dont les vies merveilleuses nous transportent d’admiration ; que Dieu suscitera encore des