Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/32

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aux bruits de cette solitude, et je n’entendis que le vent du Nord qui grondait faiblement dans les cours intérieures, et le cri des oiseaux de proie qui planaient sur les tours. Je ne trouvai au-dedans que des portes rompues sur leurs gonds rouillés, de grands vestibules où les pas de l’homme n’avaient point laissé de traces et des cellules désertes. Puis, descendant par des degrés étroits, à la lumière d’un soupirail, dans les souterrains du monastère, je m’avançai lentement parmi les débris de la mort dont ils étaient encombrés ; et pressé de me livrer sans distraction au trouble vague et presque doux que m’inspirait la solennité de ces retraites, je m’assis sur les ais d’un cercueil détruit.

« Quand je vins à me rappeler ces associations vénérables que je devais voir si peu de temps et regretter tant de fois ; quand je réfléchis sur cette révolution sans exemple qui les avait dévorées dans sa course de feu, comme pour ravir aux gens de bien jusqu’à l’espoir d’une consolation possible ; quand je me dis dans l’intimité de mon cœur : ce lieu serait devenu ton refuge, mais on ne t’en a point laissé ; souffrir et mourir, voilà ta destination. Oh ! comme elles m’apparurent belles et touchantes, les grandes pensées qui présidèrent à l’inauguration des cloîtres, lorsque la société passant enfin des horreurs d’une civilisation excessive aux horreurs infiniment plus tolérables de la barbarie, et dans cette hypothèse où le retour de l’état de nature et même du gouvernement patriarcal, n’était plus que la chimère de quelques esprits exaltés, des hommes d’une austère vertu et d’un caractère auguste érigèrent, comme le dépôt de toute la morale humaine, les premières constitutions monastiques.

« Ces hospices conservateurs furent autant de monuments dédiés à la religion, à la justice et à la vérité.

« La manie de la perfectibilité, d’où dérivent toutes nos déviations et toutes nos erreurs, était déjà près de renaître ; le monde allait se policer peut-être encore une fois. Toutes les pensées généreuses, toutes les affections primitives allaient s’effacer encore, et des solitaires obscurs l’avaient prévu.

« Modestes et sublimes dans leur vocation, ils n’aspirent qu’à nous conserver la tradition du beau moral, perdu dans le reste de l’univers.

« Celui qui était riche fait de ses biens le patrimoine des pauvres.

« Celui qui était puissant, et qui imposait autour de lui des ordres inviolables, se revêt d’un rude cilice, et entre avec soumission dans les voies qui lui sont prescrites.

« Celui qui était brûlant d’amour et de désirs renonce aux plaisirs promis, et creuse un abîme entre son cœur et le cœur de la créature.

« Le moindre sacrifice du plus faible de ces anachorètes ferait la gloire d’un héros.

« Examinons cependant avec une scrupuleuse attention ce que cette milice sacrée pouvait avoir de si révoltant pour les sages de notre siècle, et par quels crimes d’humbles cénobites s’attirèrent cette animadversion furieuse, unique dans les annales du fanatisme.

« C’étaient des anges de paix qui s’adonnaient, dans le silence de la solitude, à la pratique d’une morale excellente et pure, et qui ne paraissaient au milieu des hommes que pour leur apporter quelque bienfait.

« Leurs loisirs mêmes étaient voués à la prière et à la charité.

« Ils dirigeaient la conscience des pères ; ils présidaient à l’éducation des enfants ; ils protégeaient comme les fées, les premiers jours du nouveau-né ; ils appelaient sur lui les dons du ciel et les lumières de la foi. Plus tard, ils guidaient ses pas dans les sentiers difficiles de la vie ; et quand elle touchait à sa période suprême, ils soutenaient ce débile voyageur dans les avenues du tombeau et lui ouvraient l’éternité.

« Qu’on ne dise plus que le malheureux est un anneau brisé dans la chaîne des êtres.

« Le pauvre expirant sur la paille était du moins entouré de leurs exhortations et de leurs secours.

« Ils enchantaient de leurs consolations l’agonie des malades et la tristesse des prisonniers.

« Ils embrassaient tous les affligés d’une égale compassion. Leur vive charité s’informait moins de la faute que du malheur : et si l’innocent leur était cher, le coupable ne leur était point odieux. Le crime aussi n’a-t-il pas besoin de pitié ?

« Quand la justice avait choisi une victime, et que le patient, abandonné de toute la terre, s’avançait lentement vers son échafaud, il retrouvait à ses côtés ces divins émissaires de la religion, et ses yeux près de s’éteindre lisaient dans leurs yeux résignés la promesse du salut.