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« L’opposition des hommes est souvent la marque et le caractère des choses qui ont l’approbation de Dieux. » (Pensées de l’Abbé de la Trappe, — pensée XVIII.)

On comprendra maintenant la vérité de ce que nous dit le P. Lacordaire :

« La principale tentation des œuvres naissantes est dans leur nouveauté même, dans cet obscur horizon où flottent les choses qui n’ont point encore de passé. »

Mais aussi il ajoute cette réflexion consolante :

« Les premiers ouvrages des Saints ont une virginité qui touche le cœur de Dieu ; et celui, qui protège le brin d’herbe de la tempête, veille sur le berceau des grandes choses »

Et puis, Dieu se sert de ce qu’il y a de plus petit, de plus méconnu, et de plus méprisé, pour opérer silencieusement les plus grandes choses : il préserve ainsi les uns de l’orgueil, et il confond l’orgueil des autres. Oui, Dieu se plaît à déconcerter la sagesse humaine :

Humilia respicit in cælo et in terra. (Ps. 112) Quæ stulta sunt mundi elegit Deus, ut confundat sapientes ; et infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia ; et ignobilia mundi, et contemptibilia elegit Deus, et ea quæ non sunt, ut ea quæ sunt destrueret : Ut non glorietur omnis caro in conspectu ejus. (I. ad Cor. 1, 27 et 29.)

« Dieu quelquefois, dit Saint-Grégoire, sur la fin de son Pastoral, prend plaisir à laisser un grand nombre d’imperfections dans une âme, qu’il a d’ailleurs enrichie de quelques dons précieux, afin que, se voyant encore imparfaite au milieu de quelques vertus éclatantes, elle en conçoive un très vif regret, et prenne de là un sujet continuel de s’humilier devant Dieu ».

« Saint-Augustin, au livre de la Nature et de la Grâce, enseigne que les hommes les plus saints ont toujours en eux des choses qu’ils doivent expier par leurs larmes, et avec cela ils ne laissent pas d’être saints, parce qu’ils sont toujours dans un dessein véritable et une sincère affection de faire tout ce qui est nécessaire pour arriver à une haute sainteté. Ce sentiment de ce père de l’Église nous donne lieu de remarquer qu’il y a des Saints qui ne laissent pas de commettre beaucoup de fautes, et quelquefois même davantage que d’autres personnes qui n’ont qu’une vertu fort médiocre ; et qu’ainsi il ne faut pas précisément mesurer la sainteté des âmes par là ; mais cependant il y a bien de la différence entre ces âmes ; car les unes, quoiqu’elles aient plusieurs défauts, n’en ont aucun volontaire, et elles aimeraient mieux mourir que de commettre la moindre imperfection avec une entière advertance, et elles sont dans un dessein véritable, comme parle Saint-Augustin, de faire toutes choses pour arriver à une haute sainteté, pratiquant des vertus héroïques et admirables ; et les autres, quoique plus exemptes de fautes, sont bien éloignées de la vigueur de l’amour de celles-ci. C’est à quoi les directeurs doivent prendre garde. » (Le Règne de Dieu dans l’Oraison mentale, par Boudon. p. 258, Liv. 2, ch. 7.)

« Il faut remarquer ici l’erreur de quelques-uns qui approuvent bien la contemplation ; mais, à leur avis, il faut que les personnes à qui Dieu la donne, aient des choses bien extraordinaires ; en sorte que, quand ils n’y voient rien de particulier, ils ont de la peine à se persuader qu’elles possèdent en vérité ce don de Dieu. Cependant l’on doit savoir qu’il n’est pas nécessaire que tous les Saints fassent éclat : il y en a dont l’honneur est au-dedans, aussi bien que la fille du roi dont parle le psalmiste, dont les vertus sont d’autant plus saintes qu’elles sont cachées, et ne sont aperçues que de très peu de personnes par une lumière divine spéciale. » (Règne de Dieu etc. Liv. 3, ch. 2.)

Ne croyons pas que la contemplation soit un obstacle à l’action, que la vie contemplative soit incompatible avec la vie active ; car la vie des Apôtres, et celle de tous les hommes apostoliques, était, tour à tour, une vie très active et une vie hautement, contemplative. Cette vie mixte est aussi la vie d’un grand nombre de saints Religieux. On peut être alternativement, Marie ou Marthe ; la colombe solitaire et gémissante, ou l’aigle prêt au combat, à la fatigue et à tous les sacrifices. Combien de Souverains Pontifes, d’Ar-