Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/78

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soit dans la vie d’action, soit dans la vie contemplative. Garder les commandements divins est une chose indispensable à tous les chrétiens qui veulent avoir part à l’éternelle vie ; les Ordres religieux se proposent une voie plus difficile, ils tendent à la perfection. Là se pressent les hommes, qui, après avoir entendu de la bouche du divin Maître ces paroles : « Si vous voulez être parfait, vendez tous vos biens et donnez-les aux pauvres, ne se sont pas retirés avec tristesse, comme le jeune homme de l’Évangile ; mais ont embrassé avec courage l’entreprise de tout quitter et de suivre Jésus-Christ. »

« L’apparition de ces institutions sous différentes formes, a été l’expression et la satisfaction de grandes nécessités sociales, et un puissant moyen aux mains de la Providence pour procurer non-seulement le bien spirituel de l’Église, mais aussi le salut et la régénération de la société…

« Le Fondateur de la religion chrétienne ne voulait pas que les conseils donnés par lui aux hommes, fussent un seul instant sans compter quelques disciples au milieu de la froideur et de la dissipation du monde : il ne les avait pas donnés en vain, et d’ailleurs la pratique même de ces conseils, quoique bornée à un cercle restreint de fidèles, étendait de tous côtés une bienfaisante influence qui facilitait et assurait l’observance des préceptes. La force de l’exemple exerce un si grand ascendant sur le cœur de l’homme, qu’elle suffit souvent à triompher toute seule des résistances les plus tenaces et les plus opiniâtres ; il y a dans notre cœur quelque chose qui l’incline à sympathiser avec tout ce qui l’approche, soit le bien, soit le mal, et il semble qu’un secret aiguillon nous presse dès que nous voyons les autres prendre sur nous les devants dans une direction quelconque. C’est pourquoi il y a tant d’avantage dans les instituts religieux, où les vertus et l’austérité de la vie sont données en exemple à la généralité des hommes, et opposent à l’égarement des passions un reproche éloquent.

« La Providence voulait atteindre ce grand objet par des moyens singuliers et extraordinaires : l’Esprit de Dieu souffla sur la terre, et aussitôt apparurent les hommes qui devaient commencer la grande œuvre. Les épouvantables déserts de la Thébaïde, les solitudes embrasées de l’Arabie, de la Palestine et de la Syrie nous présentent des hommes couverts d’un vêtement grossier. Un manteau de poil de chèvre sur leurs épaules, et un grossier capuchon sur leurs têtes, voilà tout le luxe par lequel ils confondent la vanité et l’orgueil des mondains. Leurs corps, exposés aux rayons du soleil le plus ardent et à toute la rigueur du froid, exténués d’ailleurs par de longs jeûnes, ressemblent à des spectres ambulants sortis de la poussière du sépulcre ; l’herbe des champs est leur unique aliment, l’eau leur unique breuvage, le travail de leurs mains leur procure les faibles ressources dont ils ont besoin dans leurs nécessités. Soumis à la direction d’un vénérable vieillard, dont les titres au gouvernement sont une longue vie passée au désert, et des cheveux blanchis au milieu des privations et des austérités, ils gardent constamment le plus profond silence. Leurs lèvres ne s’ouvrent que pour articuler des paroles de prière, leur voix ne résonne que pour entonner au Seigneur une hymne de louange. Pour eux, le monde a cessé d’exister, les rapports d’amitié, les doux liens de famille et de parenté, tout est rompu par un esprit de perfection porté à une hauteur qui dépasse toutes les considérations terrestres. Le souci de l’héritage ne les inquiète pas dans le désert : avant de se retirer au désert, ils ont tout abandonné à celui qui devait leur succéder ; ils ont vendu tout ce qui leur appartenait et en ont distribué le prix aux pauvres. Les saintes Écritures sont la nourriture de leur esprit ; ils apprennent par cœur les paroles de ce divin livre, ils les méditent sans cesse, suppliant le Seigneur de leur en accorder la véritable intelligence. Dans leurs réunions solitaires, on n’entend que la voix de quelque vénérable cénobite expliquant avec une simplicité naïve et une touchante onction le sens du texte sacré, mais toujours de manière à tirer de ses leçons quelque profit pour la purification des âmes. »

« Le nombre de ces solitaires était si immense que nous n’y pourrions croire, si des témoins oculaires, dignes du plus grand respect, n’en faisaient foi. Quantà la sainteté, à l’esprit de pénitence, à la pureté de vie que nous venons de peindre, on ne saurait les mettre en doute après le témoignage de Ruffin, de Palladius, de Saint-Jérôme, de Saint-Jean-Chrysostome, de Saint-Augustin, et de tous les hommes illustres qui se distinguèrent dans ce temps. Le fait est singulier, extraordinaire, prodigieux, mais nul n’en