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venu maître paisible de l’univers, lui écrit lettre sur lettre pour implorer ses prières, ses conseils et obtenir l’honneur d’une réponse. Antoine s’en défend d’abord, répondant qu’il ne sait ni lire ni écrire. Enfin, par les instances de l’empereur et des moines, il dicte quelques lignes dont la lecture produit plus de sensation à la cour que la nouvelle d’une grande victoire.

« Théodose, que ses héroïques qualités firent appeler le Trajan sans défauts, consultait dans les plus graves affaires l’humble anachorète Jean, niché dans un roc presque inaccessible de la Haute Thébaïde.

« Au 5e siècle, Saint-Siméon Stylite, du haut de sa colonne, était l’arbitre des empereurs, des rois ; le conseil des Papes, des Évêques et des peuples. »

Citons encore le témoignage d’un éloquent professeur, Ozanam :

« Les institutions du désert et les vies de ses anachorètes popularisés par les récits de Saint-Athanase, de Saint-Jérôme et de Cassien, poussent dans la solitude les âmes fatiguées des vices et des malheurs publics. Ces villes opulentes et menacées, Rome, Milan, Trèves ont encore des amphithéâtres pour les plaisirs de la foule. Elles ont aussi des monastères où se forme un peuple meilleur et plus capable de faire face aux périls de l’avenir. Le païen Rutilius s’indigne de trouver dans les îles qui bordent la côte d’Italie, ces hommes austères, ces ennemis de la lumière, comme il les nomme, quand bientôt les lumières n’auront plus d’autres gardiens. Déjà s’ouvrent les grandes abbayes de Lérins, de l’île de Barbe, de Marmoutiers, un siècle avant que Saint-Benoît paraisse, non pour introduire en Occident la vie religieuse, mais pour la perpétuer en la tempérant. » (Cours de littérature étrangère, par Ozanam.)

Ainsi, dès l’origine, et dans tout le cours des siècles, sous les noms divers de Prophètes, d’Esséniens, de Rachabites, de Nazaréens, de Thérapeutes, de Solitaires, de Moines, d’Ermites, d’Anachorètes ou de Reclus, toujours et partout, il a existé des hommes qui ont mené une vie plus parfaite et retirée, une vie contemplative ; et ces hommes ont été désignés plus tard sous le nom générique d’Ascètes ; qui partout et toujours, il a existé, et il existera dans l’Église, des Solitaires, vivant séparément au fond des déserts, ou réunis en communauté, au milieu des villes ou dans les lieux qui en sont le plus éloignés : tels sont les Moines de Saint-Antoine ; les Tabennites, ou Moines de Tabenne ; les Moines de Saint-Basile ; les Carmes, ou Religieux du Mont-Carmel ; les Moines de Lérins, ou Religieux de Saint-Honorat ; les Bénédictins, ou Moines noirs ; les Moines de Saint-Colomban ; les Moines de Cluny ; les Camaldules ; les Religieux de Grandmont ; les Chartreux ; les Bernardins, ou Moines de Cîteaux ; les Religieux de Fontevrault ; les Trappistes ; les Blancs-Manteaux, ou Ermites de Saint-Guillaume ; les Religieuses de Sainte-Claire ; les Sylvestrins ; les Célestins ; les Religieuses de Sainte-Brigite ; les Moines de Bursfeld ; les Carmes déchaux, et les Carmélites.

« La ferveur des premiers Solitaires n’est pas entièrement éteinte dans l’Église ; elle s’y conserve encore en plusieurs retraites, où l’on a soin d’entretenir le feu de cette charité primitive. Il faut demeurer néanmoins d’accord que les déserts ne sont pas de nos jours aussi peuplés qu’ils l’ont été dans les premiers siècles ; mais il nous reste encore assez d’endroits où nous pouvons contempler les merveilles de la grâce en ce genre de vie, et nous confondre en le comparant à notre lâcheté. » (Les Vies des Solitaires d’Occident, par VILLEFORE, 4e vol. p. 340.)

« Il se trouve de prétendus philosophes qui blâment les austérités que pratiquent les pieux solitaires d’aujourd’hui, ainsi que celles qui se pratiquaient parmi les anciens ermites. À quoi bon, disent-ils, toutes ces macérations ? L’auteur de la nature nous a-t-il rendus sensibles au plaisir, pour que nous vécussions dans une gêne continuelle ? Est-ce qu’il aime à nous voir dans un état de souffrance ?

« Pour raisonner de la sorte, il faut n’avoir aucune connaissance de ce que