Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/81

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premiers pas ; il lui manque la confiance en lui-même, dans ses propres forces ; le but vers lequel il se dirige, lui semble trop éloigné, l’entreprise lui paraît trop ardue, et il défaille. Le dogme de la grâce, tel qu’il est expliqué par le catholicisme, n’est point cette doctrine fataliste, mère du désespoir, qui a glacé les cœurs parmi les protestants, ainsi que le déplorait Grotius. C’est une doctrine qui, laissant à l’homme tout son libre arbitre, lui enseigne la nécessité d’un secours supérieur ; mais ce secours lui sera abondamment fourni par l’infinie bonté d’un Dieu qui a versé pour lui son sang dans les tourments et l’ignominie, et exhalé pour lui le dernier soupir sur la cime du Calvaire.

« Il semble même que la providence ait voulu spécialement choisir un climat où l’humanité pût faire un essai de ses forces vivifiées et soutenues par la grâce. Ce fut sous le ciel en apparence le plus funeste pour la corruption de l’âme, dans les contrées où le relâchement des corps conduit naturellement au relâchement des esprits, et où l’air même qu’on respire excite au plaisir, ce fut là que se déploya la plus grande énergie de l’esprit, que l’on vit pratiquer les plus grandes austérités et que les plaisirs des sens furent proscrits, déracinés avec le plus de rigueur et de dureté. Les Solitaires fixèrent leurs demeures dans des déserts où pouvaient encore arriver les souffles embaumés que l’on respirait dans les contrées voisines ; du haut de leurs montagnes et de leurs sommets sablonneux, leurs yeux atteignaient à ces riantes et paisibles campagnes qui invitaient à la jouissance et au plaisir ; semblables à cette vierge chrétienne qui abandonna sa grotte obscure pour aller se placer dans les fentes d’une roche d’où elle contemplait le palais de ses pères, débordant de richesses, de commodités et de délices, tandis qu’elle gémissait comme la colombe solitaire dans les trous du rocher. Dès lors, tous les climats étaient bons pour la vertu ; l’austérité de la morale ne dépendait plus du plus ou moins de proximité de la ligne de l’Équateur ; la morale de l’homme était comme l’homme lui-même, elle pouvait vivre dans tous les climats. Lorsque la continence la plus absolue était pratiquée d’une manière si admirable sous le ciel que nous venons de dire, la monogamie du christianisme pouvait bien s’y établir et s’y conserver. Lorsque, dans les secrets de l’Éternel, l’heure aurait sonné d’appeler un peuple à la lumière de la vérité, il n’importerait plus que ce peuple vécût au milieu des frimats de la Scandinavie, ou dans les plaines brûlantes de l’Inde. L’esprit des lois divines ne devait point se renfermer dans le cercle étroit que l’Esprit des Lois de Montesquieu a prétendu lui assigner. » (Vol. 2. ch. 38.)

« Peut-être le lecteur le plus opposé aux communautés religieuses, s’est-il réconcilié avec les Solitaires de l’Orient, en y reconnaissant une classe d’hommes qui, par la mise en pratique des plus sublimes et des plus austères conseils de la religion, ont communiqué à l’humanité une impulsion généreuse, l’ont relevée de la fange où le paganisme la tenait plongée, et lui ont fait déployer ses ailes brillantes vers de plus pures régions. Accoutumer l’homme à une morale grave et sévère, ramener l’âme au-dedans d’elle-même, lui communiquer un vif sentiment de la dignité de sa nature, de la hauteur de son origine et de sa destinée, lui inspirer, par des exemples extraordinaires, la confiance, que l’esprit aidé de la grâce peut triompher des passions brutales et maintenir l’homme sur la terre dans une vie angélique, voilà des bienfaits trop signalés pour qu’un noble cœur ne se montre pas reconnaissant et plein d’un vif intérêt pour les hommes qui les ont dispensés au monde. »

Après Balmès, écoutons le solitaire Auvergnat :

« Quel prodigieux ascendant les moines ont exercé sur l’esprit public, alors surtout qu’ils menaient une vie plus retirée.

« Le monde est comme le chien de Jean Nivelle : il méprise ceux qui le caressent, et s’attache à ceux qui le méprisent.

« En vain, pour se faire oublier, Antoine a mis entre l’Égypte et lui les vastes solitudes de la Thébaïde ; l’Égypte entière court à sa cellule. Son nom, cher aux chrétiens, et même aux infidèles, fait trembler les tyrans. Maximin, dont la fureur n’a épargné ni le grand évêque d’Alexandrie, ni la vierge Catherine, célèbre par sa science, sa noblesse, sa fortune et sa beauté, laisse le patriarche des Solitaires parcourir librement les rues et les places d’Alexandrie, visiter les confesseurs dans les prisons, les exhorter à la constance en face des tribunaux, et les accompagner jusqu’au lieu de l’exécution.

« Vingt ans plus tard, Constantin, de-