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Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/87

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bordait un des murs de clôture, fixa son attention. Une petite cellule, dans ce lieu couvert et écarté, ferait bien mon affaire, se disait-elle à elle-même. Mais qui me la construira ? Après un moment de réflexion, elle va trouver son frère Ferdinand et lai demande ce service. Ferdinand, qui aimait sa sœur, se met aussitôt au travail. Il plante des poteaux, les lie ensemble avec des bois pliants, pressés les uns contre les autres ; et voilà des murailles. Il abaisse sur cette cabane des branches de platane, et les dispose de manière à la bien couvrir ; et voilà un toit. Il fallait une porte pour achever son ouvrage ; il en fabriqua une selon le procédé qu’on emploie pour faire des corbeilles, et la suspendit au moyen de deux lanières de cuir ; pendant ce temps-là, Rose ne demeurait pas oisive : Elle élevait contre le mur un petit autel champêtre et l’ornait d’une assez grande croix de carton, qu’elle avait couverte de fleurs et de plumes de couleurs brillantes et variées. Plus tard, toutes les images qu’elle put se procurer servirent à embellir ce petit oratoire. Dès lors l’univers ne fut plus rien pour elle. Cet ermitage faisait toutes ces délices. C’était pour elle un paradis.. Aussi y passait-elle tout son temps, et s’ennuyait partout ailleurs ; si bien que dans la famille les paroles suivantes étaient passées en proverbe : « Si l’on veut trouver la petite Rose, il faut aller au jardin »

« Jusqu’à cette époque, elle avait couché dans une chambre commune ; mais alors cet usage lui devint à charge. Solitaire pendant le jour, elle voulait l’être encore pendant la nuit. En conséquence elle demanda une autre chambre à sa mère, et celle-ci la lui accorda sans difficulté.

« Lorsqu’elle sortit de l’état d’adolescence, sa mère lui dit que, pour se conformer à la coutume, il faudrait désormais qu’elle l’accompagnât dans ses sorties, surtout quand elle aurait des visites à faire à des personnes honorables. Cette ouverture fit frémir la jeune vierge qui ne se plaisait que dans son ermitage ; elle sentait une répugnance extrême à se produire aux regards du public : Aussi chaque fois que sa mère lui disait de faire sa toilette pour sortir, elle la suppliait de la laisser à la maison, et versait un torrent de larmes. Celle-ci, étonnée de voir pleurer sa fille pour des choses qui font tressaillir les autres de joie, condescendait néanmoins à ses désirs.

« Son amour pour la solitude allait si loin que, non contente d’éviter les promenades et les sociétés, elle fuyait jusqu’aux processions publiques, disant qu’elle y trouverait l’occasion de voir et d’être vue. Cet éloignement du monde lui fit trouver bien douce la liberté accordée par sa mère de ne plus l’accompagner dans les visites qu’elle faisait au-dehors. Quelqu’un lui demandant un jour d’où avait pu lui venir cette répugnance, elle répondit : Y a-t-il rien de plus ennuyeux que de se trouver avec des femmes parées comme des idoles, et dont tous les discours ne respirent que la vanité ! Et cette étiquette qu’il faut garder dans les salons, et cet échange de politesses auxquelles on doit se prêter, n’est-ce pas une insipide occupation ou plutôt un insupportable esclavage ? Oh ! que je suis bien plus heureuse seule avec mon Dieu !… Beaucoup de dames venaient, en apparence, pour voir sa mère, mais en réalité pour la voir elle-même ; et il eut été par trop inconvenant de refuser de paraître lorsqu’elles la demandaient, chose qu’elles n’avaient garde d’oublier. Ce fut une désolation pour cette sainte fille de voir qu’en quittant le monde, elle n’avait fait qu’échanger les salons des autres pour Celui de ses parents. C’était en effet les mêmes femmes dont les parures, les politesses et les conversations lui avaient déjà causé des dégoûts insurmontables. Il est vrai que, pour lui complaire, elles mêlaient quelques paroles pieuses à leurs entretiens ; mais c’était si rare et si froid, qu’elle ne se croyait pas dédommagée du temps précieux qu’elles lui faisaient perdre.

« Voulant à tout prix quitter le monde, elle forma un dessein sublime qui, selon toute apparence, lui fut suggéré par le Saint-Esprit. Mais, pour le mettre à exécution, il lui fallait le consentement de sa mère. Elle fut donc la trouver et lui dit : ma mère, vous m’avez permis de vivre en solitude, et je ne la trouve pas dans la maison. Veuillez consentir à ce que je me fasse faire, au fond du jardin, une cellule suffisante pour me loger, avec une petite fenêtre qui laisse passer un rayon de lumière. Afin de pouvoir surveiller mes actions, vous en aurez la clef, que je vous prie de ne confier à personne. Elle obtint avec beaucoup de peine ce qu’elle demandait.

« Je laisse à penser combien cette per-