Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/88

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mission la rendit heureuse. Je doute que le vieillard Siméon fût plus joyeux, lorsqu’il reçut une réponse favorable au désir qu’il avait de ne pas mourir sans avoir vu son Sauveur. La jeune vierge, en effet, se voyait dans une situation à peu près semblable. Encore quelques jours, et elle allait entrer dans sa chère retraite, où elle jouirait désormais des chastes embrassemens de son divin Époux, qui appelle ses amantes dans la solitude pour leur parler au cœur. Le jour lui parut long, car il était trop tard pour mettre la main à l’œuvre. Les ouvriers furent mandés pour le lendemain, et quand le soleil se coucha, son ermitage était achevé. Elle s’empressa de la meubler, et la chose fut bientôt faite ; car la pauvreté présida à sa parure. Les planches qui lui servaient de lit, un siège, une petite table et quelques images en firent tout l’ameublement. Jamais peut-être habitation ne fut plus étroite et plus humble que cette cellule. Elle avait cinq pieds de long sur quatre pieds de large ; et, sans un rayon de lumière que laissait entrer une petite fenêtre, on l’eut prise assurément pour un tombeau. Son confesseur, dans la première visite qu’il lui fit, s’étant récrié sur l’exiguïté de cette demeure, la sainte répondit en souriant : vous vous trompez, mon père : elle est tout aussi grande qu’il faut pour mon Époux céleste et moi, et je vous assure que nous y serons commodément.

« Heureuse dans cet ermitage, qu’elle n’eut pas échangé pour le plus beau palais du monde, Rose ne pensa plus qu’à y vivre de telle sorte qu’aucune partie de son temps ne s’échappât sans fruit…

« Ayant dû quitter son ermitage trois ans avant sa mort, elle conserva ce goût de solitude dans la maison de Gonzalve, le questeur. Elle se fit dans le grenier un petit retranchement avec des planches, où elle passait les jours entiers et la plus grande partie des nuits, seule avec Dieu, et tout occupée de la prière. Aucun visiteur ne pouvait pénétrer dans son sanctuaire, tant elle prenait soin d’en obstruer les abords ; et elle n’en sortait que pour aller passer quelques jours, de loin en loin, dans son ancienne chaumière. La solitude éait tout son bonheur. Pourquoi faut-il que je sois femme, disait-elle quelquefois aux personnes honorées de sa confiance ? Ah ! si j’étais homme, il y a longtemps que, laissant là Lima et tous les lieux habités, j’aurais été chercher dans les montagnes une grotte où je vivrais heureuse, seule avec Dieu seul ! On ne pouvait lui faire plus de plaisir qu’en parlant des Solitaires de l’Égypte. Il suffisait de prononcer devant elle les noms de Thébaïde et de Nitrie, pour enflammer ses désirs et la faire soupirer de regret !… (ch. 9.)

« Trois jours avant sa dernière maladie, elle se rendit en secret dans la maison de ses parents, pour dire un dernier adieu à son petit ermitage, où elle avait été comblée de tant de grâces. Lorsqu’elle y fut entrée, s’y croyant seule et sans témoins, elle se mit à chanter la fin de son exil et les joies de la céleste patrie. Sa mère, qui se tenait cachée dans un lieu voisin, ne comprit rien à ce cantique ; mais quand elle entendit sa fille la recommander à Saint-Dominique, le suppliant de lui servir de protecteur dans le triste abandon qui lui était réservé, elle frémit à la pensée du malheur que semblaient lui annoncer ces paroles. Il n’était, hélas ! que trop certain, et ne tarda pas à se réaliser. » (Vie de Sainte-Rose de Lima, par le P. Léonard Hausen, de l’Ordre des Prédicateurs, traduite par l’abbé P. anc. v. g. d’Évreux. ch. 27.)

Voyons maintenant qui était Sainte-Marianne, l’imitatrice de Sainte-Rose :

« Sainte-Marianne de Jésus de Paredès et Florès, nommée aussi le Lis de Quito, naquit le 30 octobre 1618, et mourut le 26 mai 1645.

« Dès l’âge de onze ans, elle tourna toutes ses pensées vers les moyens de se délivrer totalement du monde, et de se cacher dans une solitude où elle pût se livrer sans obstacle à la pénitence et à la contemplation. Au-dessus de la ville de Quito s’élève une montagne non moins remarquable par sa hauteur que par le redoutable volcan qu’elle renferme. Les habitants de Quito, pour se garantir des éruptions menaçantes de cet épouvantable gouffre, s’étaient mis sous la protection de la Sainte-Vierge, et avaient placé sur un point élevé de la montagne une statue de cette puissante Protectrice, dont la vue et la présence les rassuraient. Il vint à la connaissance de Marianne que cette image de la Sainte-Vierge, si vénérée autrefois, était alors comme tombée dans l’oubli ; personne n’allait plus la visiter, ni prendre soin de la petite chapelle où elle avait été placée. Cette pieuse enfant, pénétrée jusqu’au fond de l’âme d’un oubli si coupable, conçut en elle-même l’idée consolante,