Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/92

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Artisans de malheur entre tout ce qu’on aime,
De la déception votre charme est l’emblème,
Et votre doux regard, sur nos fronts arrêté,
Est déjà le rayon de l’infidélité.
À tout rêve nouveau vous vous laissez conduire ;
Autant que le démon l’ange peut vous séduire ;
Vos regrets n’ont qu’une heure. On voit briller les pleurs
Moins longtemps à vos yeux que la rosée aux fleurs ;
En vain à consoler la pitié vous invite,
Près des grands dévouements vos pieds froids passent vite !
Sœurs de l’ingratitude et reines de l’oubli,
Vos cœurs dans la constance ont toujours défailli !

(Alex. Soumet. La Divine Épopée.)


Oh ! dites-nous, Fils de Marie, où sont, aujourd’hui, vos amis fidèles ; où sont vos disciples chéris et dévoués ? Dites-nous, dans quelle solitude lointaine et sauvage habitent les frères et les sœurs austères de Rose et de Marianne ? Où sont vos élus, parmi cette multitude innombrable d’hommes affairés et de femmes frivoles ? Où pourrons-nous fuir, désormais, pour échapper au spectacle affligeant de ce matérialisme égoïste, de cette cupidité insatiable, qui a glacé dans les cœurs toute amitié désintéressée, tout sentiment généreux, tout dévouement, tout héroïsme ; qui dissout chaque jour les liens les plus sacrés, — liens de famille, liens sociaux et liens religieux ; et qui opère une division effrayante même au sein des sociétés catholiques : car enfin, de nos jours, la charité est étrangement refroidie ; les pierres du temple se disjoignent ; les Ordres religieux décroissent et languissent sans encouragement ; l’esprit d’association, affaibli par l’esprit d’égoïsme, ne concentre plus les âmes dans des foyers ardents et lumineux ; les plus hautes intelligences flottent dans le vague, les cœurs les plus aimants aspirent dans le vide, les volontés sont indécises et versatiles ; et rien, hors l’Église infaillible, rien n’est stable et invariable. — Hélas ! où sont, aujourd’hui, toutes ces vastes maisons de retraite, tous ces corps imposants de religieux, toutes ces saintes communautés de vierges, toutes ces brillantes constellations monastiques ? où sont ces phalanges disciplinées, ces légions thébaines, ces puissants auxiliaires, ces nombreuses et formidables armées du Seigneur, ces invincibles soldats de l’Église ? Où sont ces fervents anachorètes, ces anges de la terre, qui peuplaient et embellissaient les Thébaïdes ; qui les embaumaient de leurs vertus et y brillaient avec un chaste éclat, comme les fleurs cachées de l’oasis, et les étoiles inaccessibles du ciel ? Où sont-ils, aujourd’hui ; et pourquoi n’existent-ils plus ? — Oh ! dites-nous, Fils de Marie, le monde est-il moins dangereux ; est-il moins corrompu et moins constitué en malice ; n’est-il plus votre ennemi et le nôtre ? et la solitude, aujourd’hui, est-elle maudite par vous ; n’est-elle plus, comme autrefois, un lieu de délices et de sûreté, où repose votre Esprit, et où habitent les anges familiers ? La vie religieuse, la vie du cloître, est-elle donc devenue si triste et si difficile, si peu comprise et encouragée, qu’il faille des marques de vocation extraordinaires, miraculeuses, pour l’embrasser, lorsqu’il ne faut, au contraire, pour rester dans le monde, au milieu de Babylone, ni examen, ni aucune marque spéciale de Dieu ; dans le monde, où le juste même, qui y est appelé et retenu, a de la peine à se sauver ? Étrange renversement de choses ! — Et cependant, voilà où nous en sommes aujourd’hui ; tel est le désordre qui règne parmi nous ; telle est la confusion qui met un si grand obstacle à la perfection et au salut de tant d’âmes qui s’agitent au milieu de ce monde