Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/109

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luxe, qui, sans contribuer au bien-être de celui qui l’étalé, ne fait qu’exciter l’envie et la haine d’autrui.

On voit aisément comment le système auquel nous avons donné la préférence conduit à ces avantages ; mais cela ne suffit pas. Il s’agit de faire adopter au peuple la pratique de ce système, de lui faire aimer l’occupation que nous voulons lui donner, d’y fixer ses plaisirs, ses désirs, ses goûts, d’en faire nécessairement le bonheur de la vie, et d’y borner ses projets d’ambition.

Les Génois se vantent d’avoir favorisé l’agriculture dans l’île, les Corses paraissent en convenir ; je n’en conviendrai pas de même : le mauvais succès prouve qu’ils avaient pris de mauvais moyens. Dans cette conduite, la république n’avait pas pour but de multiplier les habitants de l’île, puisqu’elle favorisait si ouvertement les assassinats, et de les faire vivre dans l’aisance, puisqu’elle les ruinait par les exactions, ni même de faciliter le recouvrement des tailles, puisqu’elle chargeait de droits la vente et le transport de diverses denrées et en défendait l’exportation. Elle avait pour but, au contraire, de rendre plus onéreuses ces mêmes tailles qu’elle n’osait augmenter, de tenir les Corses dans rabaissement en les attachant, pour ainsi dire, à leur glèbe, et, les détournant du commerce, des arts, de toutes les professions instructives, en les empêchant de s’élever, de s’instruire, de s’enrichir, elle prenait toutes les mesures pour épuiser l’île d’argent, pour l’y rendre nécessaire et pour l’empêcher, toutefois, d’y rentrer. La tyrannie ne pouvait employer de manœuvre plus raffinée : en paraissant favoriser la culture, elle achevait d’écraser la nation ; elle voulait la réduire à un tas de vils paysans vivant dans la plus déplorable misère. — Qu’arrivait-il de