Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ET LE BONHEUR. 153

s^appliqua d’abord à bien connaître ces deux* substances, et écartant tout ce qui n’était pas clairement et nécessai- rement contenu dans leur idée, il définit Tune la substance étendue et l’autre la substance qui pense ; définition d’au- tant plus sage qu’elle laissait en quelque sorte l’obscure question des deux substances indécise, et qu’il ne s’en suivait pas absolument que l’étendue et la pensée ne se pussent unir et pénétrer en une même substance. Eh bien I ces définitions qui paraissaient incontestables furent dé- truites en moins d’une génération. Newton fit voir que l’essence de la matière ne consiste point dans l’étendue ; Locke fit voir que l’essence de l’âme ne consiste point dans la pensée : adieu toute la philosophie du sage et métho- dique Descartes ; ses successeurs seront-ils plus heureux, . leurs systèmes dureront-ils davantage ? Non, Sophie, ils commencent à vaciller, ils tomberont^ de même ; ils sont l’ouvrage des hommes.

Pourquoi ne pouvons-nous savoir ce que c’est qu’esprit et matière ? Parce que nous ne savons rien que par nos sens, et qu’ils sont insuffisants pour nous l’apprendre. Sitôt que nous voulons déployer nos facultés, nous les sentons toutes contraintes par nos organes ; la raison même soumise aux sens est comme eux en contradiction avec elle-même ; la géométrie est pleine de théorèmes démontrés, qu’il est impossible de concevoir. En philoso- phie, substance, âme, corps, éternité, mouvement, liberté, nécessité, contingence, etc., sont autant de mots qu*on est contraint d’employer à chaque instant et que personne n’a jamais conçus.

La simple physique ne nous est pas moins obscure que la métaphysique et la morale ; le grand Newton, Tinter-