Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/181

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ET LE BONHEUR. 155

Les poissons n’entendent point, les oiseaux ni les poissons n’ont point d’odorat, les limaçons ni les vers n’ont point d’yeux, et le toucher parait être le seul sens de l’huitre. Mais combien d’animaux ont des précautions, des pré- voyances, des ruses inconcevables, qu’il vaudrait mieux peut-être attribuer à quelque organe étranger à l’homme, qu’à ce mot inintelligible A^insiinet. Quel puéril orgueil de régler les facultés de tous les êtres sur les nôtres, tandis que tout dément à nos yeux ce ridicule préjugé.

Comment nous assurer que nous ne sommes pas, de tous les êtres raisonnants que les mondes divers peuvent contenir, les moins favorisés de la nature, les moins pour- vus d’organes propres à la connaissance de la vérité, et que ce n’est pas à cette insuffisance que nous devons l’in- compréhensibilité qui nous arrête à chaque instant sur mille vérités démontrées ?

Avec si peu de moyens d’observer la matière et les êtres sensibles, comment espérons-nous pouvoir juger de l’âme et des êtres spirituels ? Supposons qu’il en existe réelle- ment de tels, si nous ignorons ce que c’est qu’un corps, comment saurons-nous ce que c’est qu’un esprit ? Nous nous voyons entourés de corps sans âmes ; mais qui de nous aperçut jamais une âme sans corps, et peut avoir la moindre idée d’une substance spirituelle ? Que pouvons- nous dire de l’âme, dont nous ne connaissons rien que ce qui agit par les sens ? Savons-nous si elle n’a pas une infi- nité d’autres facultés qui n’attendent pour se développer qu’une organisation convenable ou le retour de sa liberté ? Nos lumières nous viennent-elles du dehors au dedans par les sens, selon les matérialistes, ou s’échappent-elles du dedans au dehors, comme le prétendait Platon ? Si le jour