Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/272

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d46 FRAGMENTS

Isûsserait pas d’être réellement très-pauvre et de manquer du nécessaire, et qu’au contraire il peut être dépourvu d’argent et cependant se trouver Cwrt riche par Tabondance de toutes les choses à l’acquisilkm desquelles les autres peuples sont contraints d’employer leurs espèces. À cette première observation il en faut ajouter une seconde qui o’est pas moins importante et qui en découle par une con- séquence éloignée ; c’est qu il y a bien des distinctions à faire, entre les richesses exclusives de quelques particu- liers et celles qui sont communes à toute une nation. Comme ces mots pauvre et riche sont relatifs, il n’y a des pauvres que parce qu’il y a des riches, et cela se peut dire en plus d’un sens ; mais, quant à présent, je me borne à celui du rapport des deux idées. *

On donne le nom de riche à un homme qui a plus* de bien que le plus grand nombre n’est accoutumé d’en avoir, ^ l’on appelle pauvre^ non-seulement celui qui n’a pas as- sez de bien pour vivre, mais celui qui en a moins que les autres. Il peut survenir de telles révolutions dans la so- ciété, que les mêmes hommes se trouveraient riches et pau- vres alternativement, sans avoir augmenté ni diminué leurs fortunes. On en peut dire autant des nations prises individuellement et comparées l’une à l’autre. Aussi cha- que peuple n’emploie-t-il guère moins de soins, quoiqu’un peu plus couvertement, à nuire aux avantages de ses voisins qu’à travailler aux siens jw’opres : l’humanité est alors sa- crifiée par le corps politique à l’intérêt national, comme elle l’est tous les jours par les particuliers à l’esprit de propriété. Cependant on ne conçoit pas sans peine com- ment la pauvreté d’un pays peut contribuer au bien-être des habitants d’un autre.