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Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/280

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254 FRAGMENTS

Nos besoins sont de plusieurs sortes ; les premiers sont ceux qui tiennent à la subsistance, et d’où dépend notre conservation. Ils sont tels, que tout homme périrait s’il cessait d y pouvoir satisfaire : ceux-ci s’appellent besoins physiques, parce qu’ils nous sont donnés par la nature et que rien ne peut nous en délivrer. Il n’y en a que deux de cette espèce, savoir : la nourriture et le sommeil.

D’auUres besoins tendent moins à notre conservation qu’à notre bien-être, et ne sont proprement que des appétits, mais quelquefois si violents, qu’ils tourmentent plus que les vrais besoins ; cependant il n’est jamais d’une absolue nécessité d’y pourvoir, et chacun ne sait que trop que vivre n’est pas vivTC dans le bien-être.

Les besoins de cette seconde classe ont pour objet le luxe de sensualité, de mollesse, l’union des sexes et tout ce qui flatte nos sens.

Un troisième ordre de besoins, qui, nés après les autres, ne laissent pas de primer enfin sur tous, sont ceux qui viennent de l’opinion. Tels sont les honneurs, la réputa- tion, le rang, la noblesse, et tout ce qui n’a d’existence que dans l’estime des hommes, mais qui mène par cette estime aux biens réels qu’on n’obtiendrait point sans elle.

Tous ces divers besoins sont enchaînés les uns aux au- tres, mais les premiers et les seconds ne se font sentir aux hommes que quand les premiers sont satisfaits. Tant qu’on n’est occupé qu’à chercher à vivre, on ne songe guère à la mollesse, encore moins à la vanité : l’amour de la gloire tourmente peu àe% gens affamés.

Ainsi tout se réduit d’abord à la subsistance, et par là l’homme tient à tout ce qui l’environne. Il dépend de tout, et il devient ce que tout ce dont il dépend le force d’être. Le