Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de les visiter en géometres qu’en philosophes. Cependant, comme ils étoient à la fois l’un & l’autre, on ne peut pas regarder comme tout-à-fait inconnues les régions qui ont été vues & décrites par les la Condamine & les Maupertuis. Le joaillier Chardin, qui a voyagé comme Platon, n’a rien laissé à dire sur la Perse : la Chine paroît avoir été bien observée par les Jésuites. Kempfer donne une idée passable du peu qu’il a vu dans le Japon. à ces relations près, nous ne connoissons point les peuples des Indes Orientales, fréquentées uniquement par des Européens plus curieux de remplir leurs bourses que leurs têtes. L’Afrique entiere & ses nombreux habitans, aussi singuliers par leur caractere que par leur couleur, sont encore à examiner ; toute la terre est couverte de nations dont nous ne connoissons que les noms, & nous nous mêlons de juger le genre-humain ! Supposons un Montesquieu, un Buffon, un Diderot, un Duclos, un d’Alembert, un Condillac, ou des hommes de cette trempe voyageant pour instruire leurs compatriotes, observant & décrivant, comme ils savent faire, la Turquie, l’Egypte, la Barbarie, l’empire de Maroc, la Guinée, le pays des Caffres, l’intérieur de l’Afrique & ses côtes orientales, les Malabares, le Mogol, les rives du Gange, les royaumes de Siam, de Pégu & d’Ava, la Chine, la Tartarie & surtout le Japon : puis dans l’autre hémisphere le Mexique, le Pérou, le Chili, les terres Magellaniques, sans oublier les Patagons vrais ou faux, le Tucuman, le Paraguai, s’il étoit possible, le Brésil, enfin les CaraÏbes, la Floride & toutes les contrées sauvages, voyage le plus important de tous, & celui qu’il faudroit faire avec le plus de soin : supposons que ces nouveaux Hercules, de retour de ces courses mémorables, fissent ensuite à loisir l’histoire naturelle, morale & politique de ce qu’ils auroient vu, nous verrions nous-mêmes sortir un monde