Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/121

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de monde fut plus forte que mon repentir. Je craignois peu la punition, je ne craignois que la honte ; mais je la craignois plus que la mort, plus que le crime, plus que tout au monde. J’aurois voulu m’enfoncer, m’étouffer dans le centre de la terre : l’invincible honte l’emporta sur tout, la honte seule fit mon impudence, & plus je devenois criminel, plus l’effroi d’en convenir me rendoit intrépide. Je ne voyois que l’horreur d’être reconnu, déclaré publiquement, moi présent, voleur, menteur, calomniateur. Un trouble universel m’ôtoit tout autre sentiment. Si l’on m’eût laissé revenir à moi-même, j’aurois infailliblement tout déclaré. Si M. de la Roque m’eût pris à part, qu’il m’eût dit ; ne perdez pas cette pauvre fille. Si vous êtes coupable, avouez-le moi ; je me serois jetté à ses pieds dans l’instant ; j’en suis parfaitement sûr. Mais on ne fit que m’intimider quand il falloit me donner du courage. L’âge est encore une attention qu’il est juste de faire. À peine étois-je sorti de l’enfance, ou plutôt j’y étois encore. Dans la jeunesse les véritables noirceurs sont plus criminelles encore que dans l’âge mûr ; mais ce qui n’est que foiblesse l’est beaucoup moins & ma faute au fond n’étoit gueres autre chose. Aussi son souvenir m’afflige-t-il moins à cause du mal en lui-même, qu’à cause de celui qu’il a dû causer. Il m’a même fait ce bien de me garantir pour le reste de ma vie de tout acte tendant au crime par l’impression terrible qui m’est restée du seul que j’aye jamais commis ; & je crois sentir que mon aversion pour le mensonge me vient en grande partie du regret d’en avoir pu faire un aussi noir. Si c’est un crime qui puisse être expié, comme j’ose le croire, il doit l’être par tant de malheurs dont