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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/23

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l’être. Tous deux d’un esprit facile à céder aux caresses, complaisans quand on ne vouloit pas nous contraindre, nous étions toujours d’accord sur tout. Si, par la faveur de ceux qui nous gouvernoient, il avoit sur moi quelque ascendant sous leurs yeux, quand nous étions seuls j’en avois un sur lui qui rétablissoit l’équilibre. Dans nos études, je lui soufflois sa leçon quand il hésitoit ; quand mon thême étoit fait, je lui aidois à faire le sien & dans nos amusemens, mon goût plus actif lui servoit toujours de guide. Enfin nos deux caracteres s’accordoient si bien, & l’amitié qui nous unissoit étoit si vraie, que dans plus de cinq ans que nous fumes presque inséparables tant à Bossey qu’à Genève, nous nous battîmes souvent, je l’avoue ; mais jamais on n’eut besoin de nous séparer, jamais une de nos querelles ne dura plus d’un quart-d’heure & jamais nous ne portâmes l’un contre l’autre aucune accusation. Ces remarques sont, si l’on veut, puériles, mais il en résulte pourtant un exemple peut-être unique, depuis qu’il existe des enfans.

La maniere dont je vivois à Bossey me convenoit si bien, qu’il ne lui a manqué que de durer plus long-tems pour fixer absolument mon caractere. Les sentimens tendres, affectueux, paisibles, en faisoient le fond. Je crois que jamais individu de notre espece n’eut naturellement moins de vanité que moi. Je m’élevois par élans à des mouvemens sublimes ; mais je retombois aussi-tôt dans ma langueur. Etre aimé de tout ce qui m’approchoit étoit le plus vif de mes désirs. J’étois doux, mon cousin l’étoit ; ceux qui nous gouvernoient l’étoient eux-mêmes. Pendant deux ans entiers je ne fus ni témoin, ni victime