Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/263

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tourner ses vers & assez de complaisance pour les écrire, entr’elle & moi nous aurions bientôt mis Chambéri sens-dessus-dessous. On seroit remonté à la source de ces libelles ; Madame de M***.

[Menthon] se seroit tirée d’affaire en me sacrifiant & j’aurois été enfermé pour le reste de mes jours peut-être, pour m’apprendre à faire le Phoebus avec les Dames.

Heureusement rien de tout cela n’arriva. Madame de M***.

[Menthon] me retint à dîner deux ou trois fois pour me faire causer & trouva que je n’étois qu’un sot. Je le sentois moi-même & j’en gémissois, enviant les talens de mon ami Venture, tandis que j’aurois dû remercier ma bêtise des périls dont elle me sauvoit. Je demeurai pour Madame de M***.

[Menthon] le maître à chanter de sa fille & rien de plus : & mais je vécus tranquille & toujours bien voulu dans Chambéri. Cela valoit mieux que d’être un bel esprit pour elle & un serpent pour le reste du pays.

Quoi qu’il en soit, Maman vit que pour m’arracher au périls de ma jeunesse il étoit tems de me traiter en homme, & c’est ce qu’elle fit ; mais de la façon la plus singuliere dont jamais femme se soit avisée en pareille occasion. Je lui trouvai l’air plus grave & le propos plus moral qu’à son ordinaire. À la gaieté folâtre dont elle entre mêloit ordinairement ses instructions, succéda tout-à-coup un ton toujours soutenu qui n’étoit ni familier ni sévere ; mais qui sembloit préparer une explication. Après avoir cherché vainement en moi-même la raison de ce changement, je la lui demandai ; c’étoit ce qu’elle attendoit. Elle me proposa une promenade au petit jardin pour le lendemain : nous y fûmes