Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/283

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devenois vilain par un motif très-noble ; car en vérité je ne songeois qu’à ménager à Maman quelque ressource dans la catastrophe que je prévoyois. Je craignois que ses créanciers ne fissent saisir sa pension, qu’elle ne fût tout-à-fait supprimée & je m’imaginois, selon mes vues étroites, que mon petit magot lui seroit alors d’un grand secours. Mais pour le faire & sur-tout pour le conserver, il falloit me cacher d’elle ; car il n’eût pas convenu, tandis qu’elle étoit aux expédiens, qu’elle eût su que j’avois de l’argent mignon. J’allois donc cherchant par-ci par-là de petites caches où je fourrois quelques louis en dépôt, comptant augmenter ce dépôt sans cesse jusqu’au moment de le mettre à ses pieds. Mais j’étois si mal-adroit dans le choix de mes cachettes, qu’elle les éventoit toujours ; puis pour m’apprendre qu’elle les avoit trouvées, elle ôtoit l’or que j’y avois mis & en mettoit davantage en autres especes. Je venois tout honteux rapporter à la bourse commune mon petit trésor & jamais elle ne manquoit de l’employer en nippes ou meubles à mon profit, comme épée d’argent, montre ou autre chose pareille.

Bien convaincu qu’accumuler ne me réussiroit jamais & seroit pour elle une mince ressource, je sentis enfin que je n’en avois point d’autre contre le malheur que je craignois que de me mettre en état de pourvoir par moi-même à sa subsistance, quand, cessant de pourvoir à la mienne, elle verroit le pain prêt à lui manquer. Malheureusement jettant mes projets du côté de mes goûts, je m’obstinois à chercher follement ma fortune dans la musique, & sentant naître des idées & des chants dans ma tête, je crus qu’aussitôt